La Poussière Des Corons
travail. Ensuite, il me disait :
— Je travaillerai à leurs côtés, avec eux. Je ne
serai ! pas un ingénieur uniquement préoccupé par le rendement. Je serai
un ingénieur humain, compréhensif, et je me battrai pour améliorer leurs
conditions de travail.
Je ne pouvais que le regarder avec fierté. Je savais que, le
jour où il exercerait son métier, les mineurs pourraient compter sur lui.
Je dus prendre l’habitude de vivre sans ma mère. J’avais
ramené chez moi sa machine à coudre, et j’étais seule pour faire tous les
travaux de couture. Nos conversations me manquaient, et aussi la sensation que
j’avais, près d’elle, d’être comprise et aimée sans conditions. Maintenant, il
n’existait plus personne dont j’étais l’enfant. Même l’amour de Charles et de
Jean était différent ; c’était un amour d’hommes, plus bourru. Je ne
pouvais pas, avec eux, discuter de mes petits problèmes de femme, comme je le
faisais auparavant avec ma mère qui, toujours, m’écoutait avec patience. Oui, sa
présence, sa tendresse, me manquèrent énormément, et je découvris que rien ne
remplace l’amour maternel.
Peu à peu, les dernières cartes de rationnement disparurent,
et nous avons eu l’espérance de trouver de nouveau tout ce dont nous avions
besoin. Grâce au charbon, les usines tournaient de nouveau, l’industrie
reprenait. Le pays revivait. C’était maintenant, adressé aux mineurs, l’appel
aux cent vingt mille tonnes.
Un an s’était écoulé depuis le décès de ma mère lorsque, de
nouveau, des bruits de grève circulèrent. Les syndicats n’acceptèrent pas l’éviction
du gouvernement des ministres communistes qui eut lieu à cette époque. Une
grève fut décidée, en novembre, et dura plus de quinze jours. C’était la
première après la guerre, et je me disais avec tristesse que rien n’était
changé. Il y avait de nouveau des discussions, des manifestations, et je priais
pour qu’il n’y eût pas de violence. Lorsque la grève prit fin, elle n’apporta
pas aux mineurs la satisfaction de leurs revendications, mais, pensai-je
égoïstement, la menace s’éloignait.
Un nouvel hiver passa, l’année 1948 arriva. Elle devait
amener des changements dans notre vie. D’abord, nous apprîmes qu’était créé, dorénavant,
un centre de vacances spécialement réservé aux mineurs, à La Napoule. Ceux qui
voulaient en faire la demande pouvaient aller passer là-bas leurs congés payés.
Tout était prévu, depuis le voyage en train jusqu’à la réservation de la
chambre. C’était d’autant plus tentant que ce centre était situé dans le Midi.
— Qu’en dis-tu, Madeleine ? me dit Charles. Nous
pourrions y aller, une année. Peut-être quand je serai retraité…?
J’étais heureuse comme une enfant, moi qui n’avais jamais
pris de vacances. Mon imagination, très vive, m’emportait. Je regardais les
photos du prospectus que Charles avait ramené de la mine. Je nous voyais, tous
les deux, dans ces collines fleuries de mimosa, toutes vibrantes de soleil et
du chant des cigales. Seulement, les années ont passé, et ce projet ne s’est
jamais réalisé. Nous l’avons toujours reporté à l’année suivante. Et maintenant,
il est trop tard.
Cette année-là également fut tourné à Liévin un film de
Louis Daquin : Le Point du jour. Dès sa sortie, nous sommes allés le voir. C’était un film qui
montrait le travail des mineurs, leur vie, leurs problèmes. Jean vint avec nous,
ainsi que Marcelle et ses parents. Il y avait une séquence où un jeune garçon
de quatorze ans, pris dans un éboulement, se trouvait enfoui. Ce passage me
rappela cruellement que Jean lui-même avait connu la même situation. Je lui
lançai un regard furtif, et je vis, à son visage tendu, que lui aussi se
souvenait, et qu’il n’oublierait jamais.
Les mineurs étaient filmés en plein travail, et nous les
voyions, accroupis, en train d’abattre du charbon. Certains, dans des passages
vraiment étroits, étaient à moitié couchés, dans des positions plus qu’inconfortables.
— C’est vraiment bien filmé, dit Charles. J’ai l’impression
d’y être, tellement ça semble réel.
Je crois que ce fut ce jour-là que je découvris ce « qu’était
le travail de Charles. Je n’étais jamais allée au fond, je n’avais jamais vu ce
que cela représentait. Là, les images me montrèrent tout ce que je ne savais
pas. J’ouvrais des yeux effarés. Dans un
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