La Poussière Des Corons
tendresse et de complicité. J’avais
de la peine de la voir partir.
Pour combler le vide causé par son absence, je me rapprochai
davantage de Marcelle, et de Catherine, sa mère. Elles venaient souvent l’après-midi
boire une tasse de café, ou c’était moi qui allais chez elles. Nous bavardions
de choses et d’autres, et une chaude amitié nous unissait.
Le dimanche, lorsque nous sortions, nous le faisions tous
ensemble, Catherine et Robert, Charles et moi, et bien entendu, Marcelle et
Jean. Je remarquais, entre les deux jeunes gens, une entente de plus en plus
visible. Bien souvent, ils discutaient, en aparté, et le regard que Marcelle
levait sur mon fils était révélateur. Quant à lui, il semblait prendre beaucoup
de plaisir à sa compagnie. Elle était jolie, vive, intelligente et agréable. Elle
allait avoir dix-neuf ans, et j’avais l’impression que, depuis quelque temps, il
ne voyait plus en elle seulement une enfant.
Un dimanche du mois de juillet, nous sommes allés tous
ensemble à Douai pour les fêtes de Gayant. Nous avons d’abord assisté au défilé,
qui produisait toujours sur moi la même impression d’émerveillement, et puis
nous sommes allés faire un tour à la fête foraine. Dans une tente, une vieille
femme prédisait l’avenir. Marcelle voulut à tout prix y entrer. Elle sortit de
là les yeux brillants, les joues roses, avec, sur le visage, un air heureux. Je
me revis, à son âge, avec le même espoir de promesses, et je me souvins de la
gitane qui m’avait prédit qu’un grand amour ensoleillerait ma vie. Sur le
moment, éblouie que j’étais par Henri, j’avais cru qu’il s’agissait de lui, mais,
maintenant, je savais ce qu’elle avait voulu dire. Et je regardai, à mes côtés,
mon Charles, sûr, tendre et fidèle.
Marcelle et Jean, comme deux jeunes fous, grimpèrent sur les
manèges, firent des tours de chevaux de bois, tirèrent à la loterie. Je voyais
Jean rire aux éclats, lui toujours grave et réservé, et je me disais que Marcelle
était une petite fée, qui arrivait à le dérider et à le faire rire comme un
enfant. Je les regardais avec une tendresse amusée, et aussi avec une certaine
nostalgie.
Je ne fus pas surprise lorsque, quelques semaines plus tard,
un samedi soir, je les vis rentrer, dans la cuisine, émus et souriants. Ils se
tenaient par la main, et je sus ce qu’ils allaient me dire. En vérité, je
compris même, à ce moment-là, que je l’avais toujours su.
— Maman, me dit Jean, avec une timidité que je ne
lui connaissais pas, je voudrais te dire que… Marcelle a accepté d’être ma
femme.
Marcelle vint vers moi, le visage rayonnant, et m’embrassa
avec affection. Je la serrai tendrement contre moi. Tout bas, elle murmura :
— Oh ! Je suis si heureuse ! Je l’aime
depuis si longtemps…
Jean, à son tour, vint m’embrasser. Ma gorge était nouée par
l’émotion. Je parvins à dire, et ma voix était rauque et tremblante :
— Je suis heureuse pour vous, mes enfants. Et toi,
Jean, tu ne pouvais pas mieux choisir.
J’étais sincère. Je savais que Marcelle l’aimait
profondément. Et moi, je n’aurais pu trouver une bru plus agréable. Je la
connaissais depuis son enfance, depuis ce temps-là nous étions amies. De plus, elle
était, elle aussi, fille de mineur. Jean aurait, près de lui, une compagne qui
le comprendrait et qui l’épaulerait dans sa lutte pour défendre les mineurs.
— Où est papa ? demanda Jean.
— Il est dans le jardin, il repique quelques
salades.
— Viens, dit Jean en tendant la main à Marcelle, avec
un sourire infiniment doux et de l’amour plein les yeux. Allons lui dire, à lui
aussi.
Ils sortirent, et je dois avouer que j’eus un pincement au
cœur. Je soupirai, à la fois heureuse et triste. Heureuse du bonheur de mon
enfant, et triste parce que je n’étais plus la seule femme dans sa vie. Il me
faudrait, dorénavant, le partager avec Marcelle. Et mon cœur de mère se serra
un peu.
Par bonheur, cela ne dura pas. Au fil des jours, je me
rendis compte que l’amour de mon enfant pour moi était demeuré inchangé. Et il
venait s’y ajouter l’affection sincère qu’éprouvait Marcelle envers moi. Jean
alla demander à Catherine et Robert la main de leur fille, qu’ils lui
accordèrent avec des transports de joie. Il y eut, entre eux et nous, une sorte
de réunion de famille, où nous avons discuté du mariage de nos enfants. Jean
avait encore une année
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