La Poussière Des Corons
présents. Partout, sur tous les carreaux de
fosses, des mineurs furent arrêtés. Ils furent emmenés et emprisonnés à Béthune.
Les manifestations dégénéraient en affrontements. Une fois de plus, la violence
était là. Les C.R.S. étaient haïs, les mineurs supportaient difficilement leur
présence, d’autant plus qu’ils n’hésitaient pas à frapper.
— Tu te rends compte, Madeleine, me disait
Charles, révolté. Tout se passait bien avant qu’ils n’arrivent. Maintenant qu’ils
sont là, on se bat sans arrêt. Et tout ça, c’est le « matraqueur [4] »
qui en est responsable !
Plus rien n’allait. Les mineurs étaient à bout de patience. La
violence s’exacerbait. Je ne dormais plus. Un cauchemar, jusque-là oublié, revenait
hanter mes nuits : devant mes yeux horrifiés, des hommes se battaient, des
chevaux tombaient, le sang coulait. Parfois, je disais à Charles :
— Ne serait-ce pas plus raisonnable de reprendre
le travail ?
— Alors tout ce que nous avons fait jusqu’ici
serait inutile ! Non, nous devons tenir bon !
Peut-être, mais au prix de quelles souffrances ?…
Un matin de cette période troublée, je reçus une lettre de
Juliette. C’était un véritable appel à l’aide. Lors d’une manifestation, Bertrand,
son mari, avait voulu calmer les mineurs excités par la présence des C.R.S., et
avait été blessé.
« Viens, m’écrivait-elle, j’ai besoin de te voir. Bertrand
est couché, je suis seule pour le soigner. En plus, ici je ne connais personne.
J’ai besoin d’une présence amie, j’ai besoin de toi. Ne refuse pas, je t’en
prie. Sinon, je crois que je deviendrai folle. Je suis à moitié morte d’angoisse.
Peux-tu venir jeudi ? Je t’attendrai à la gare, il y a un train en début d’après-midi. »
Lorsque je montrai la lettre à Charles, il m’encouragea à y
aller. Ce fut ainsi que je me retrouvai, le jeudi après-midi, en gare de
Béthune, cherchant des yeux Juliette qui devait m’attendre. Je ne la vis pas. Je
descendis du train et, irrésolue, restai sur le quai, dans l’espoir de la voir
arriver. Autour de moi, tous les gens se hâtaient vers la sortie. Bientôt, je
demeurai seule. Je me mis à marcher de long en large, incertaine sur la
conduite à suivre. Valait-il mieux rester là, ou essayer d’aller à sa rencontre ?
Mais dans quelle direction ? Je ne savais pas du tout où elle habitait, et
je risquais de me perdre. Il me sembla qu’il valait mieux attendre.
Serrant mon sac contre moi, je me remis à faire les cent pas.
Un machiniste passa, me lança un regard intrigué. Plus loin, un train démarra, à
grands renforts de bruit, de poussière et de fumée. J’attendais toujours. J’essayais
de rester calme, de me dire que Juliette avait été retardée, mais je m’inquiétais.
Et puis, au moment où je commençais à désespérer, je la vis arriver, échevelée
et courant, tout essoufflée. J’allai vers elle. Frénétiquement, elle me serra
dans ses bras :
— Comme je suis contente de te voir ! Si tu
savais… C’est affreux, affreux ! Toutes ces grèves, ces manifestations, ces
bagarres !… Bertrand est blessé, et moi, je ne vis plus !
Un faible sourire monta dans ses yeux et en chassa, pour un
instant, l’inquiétude :
— Ta présence me fait du bien, tu es si calme !
Je lui souris sans répondre. Pouvais-je lui dire que ma
placidité n’était qu’extérieure, et que mon inquiétude, pour être soigneusement
cachée, n’en était pas moins vive que la sienne ?
Elle reprit :
— Pardonne-moi mon retard. J’ai dû faire un
détour pour éviter une nouvelle manifestation qui se prépare. Nous allons
essayer de l’éviter de nouveau. Il faut nous dépêcher ; Germain est seul à
la maison avec Bertrand.
Bras dessus, bras dessous, nous sortîmes de la gare. Tout en
marchant, elle m’expliqua qu’elle venait d’apprendre que les mineurs avaient
organisé une marche sur Béthune, pour réclamer la libération de leurs camarades
prisonniers.
— Viens, me dit-elle, passons par ici. Ce n’est
pas très loin, mais il vaut mieux éviter les rues principales.
Elle m’entraîna, marchant très vite. En même temps, elle me
racontait son isolement, la façon dont elle s’était trouvée perdue en arrivant
dans une ville où elle ne connaissait personne. De nature réservée, elle n’osait
pas s’imposer aux autres. Elle se sentait horriblement seule. De plus,
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