La Poussière Des Corons
d’études à faire, avant d’obtenir son diplôme d’ingénieur,
et ils se marieraient ensuite. La date fut fixée à l’été suivant.
Ce soir-là, lorsque nous fûmes couchés, Charles me dit tout
bas :
— Tu es contente, Madeleine ? Il a choisi
une bonne petite, qu’en penses-tu ? Il sera heureux, avec elle.
J’approuvai, et me blottis contre lui, ma tête au creux de
son épaule. Charles, toujours pareil à lui-même, ne se préoccupait que du
bonheur de Jean, et je savais qu’il avait raison. Avec Marcelle, mon enfant
serait heureux. Sur cette pensée rassurante, serrée contre Charles, je m’endormis,
le cœur en paix.
*
La nouvelle fit très rapidement le tour du coron. Je ne
pouvais pas sortir de chez moi sans être arrêtée, interpellée :
— Alors, Madeleine, c’est vrai ? Ton fils
fréquente ? Il va se marier ?
Je souriais, j’acquiesçais. Beaucoup me félicitaient avec
sincérité, me parlaient de Jean, constataient que, malgré des études d’ingénieur
qui le hissaient à un niveau supérieur, il restait toujours aussi simple, aussi
amical.
A la fin du mois de septembre, je reçus une lettre de
Juliette. Son déménagement était terminé, elle était tout à fait installée. Elle
me donnait sa nouvelle adresse, et m’invitait, avec insistance, à aller la voir.
Je montrai la lettre à Jean, qui me dit :
— Je vais lui écrire pour lui annoncer mes
fiançailles avec Marcelle. Et nous irons la voir, comme elle nous le demande. J’irai
lui présenter ma fiancée.
Nous lui avons envoyé une longue lettre, à laquelle elle répondit
aussitôt en nous invitant de nouveau.
— Allons-y tous ensemble un dimanche, proposa
Jean.
Nous avons prévu d’y aller le dimanche suivant, mais notre
projet fut reporté car, dans la semaine, une grève éclata. Des bruits de grève
et des rumeurs de mécontentement circulaient déjà depuis quelque temps. J’entendais
Charles, Georges et les autres se plaindre des conditions de travail, des
relations de plus en plus difficiles entre ouvriers et ingénieurs, entre
syndicats et patrons. Lorsque j’essayais, timidement, de dire à Charles qu’une
grève n’était peut-être pas la solution rêvée, il me répondait invariablement :
— Et quelle autre solution avons-nous, dis-moi, pour
défendre nos droits ? Si nous continuons ainsi, nous travaillerons bientôt
dans les mêmes conditions qu’avant 1936. Les délégations syndicales ne sont
même plus reçues, on ne veut plus écouter nos revendications. Nous ne pouvons
pas nous laisser faire, quand même !
Jean lui-même approuvait :
— Ils ont raison, maman, me disait-il. Ils ne
veulent pas revenir vingt ans en arrière, il faut les comprendre.
Bien sûr, je comprenais. Mais ma peur de voir de nouveau des
bagarres, de la violence, était la plus forte. Alors, je ne disais rien, et j’écoutais.
Je les entendais parler du nouveau syndicat, Force Ouvrière, qui était le seul
reçu par la direction, bien que représentant une faible minorité de mineurs. Déjà,
cela les rendait mécontents. Mais, ce qui déclencha la grève, ce fut les
décrets Lacoste, qui s’attaquaient au statut des mineurs et au régime de
sécurité sociale minière. Là, je vis Charles furieux.
— C’est incroyable ! Maintenant, ils veulent
payer un mineur à la tâche, sans tenir compte des difficultés de travail, de
terrain, du toit qui se délabre, de tous les obstacles qu’on peut rencontrer… Un
gars qui est faible physiquement, et qui ne sait pas très bien travailler, ne
sera même pas payé au barème, s’il doit être payé pour ce qu’il fait ! Ah,
je voudrais bien le voir au fond, ce Robert Lacoste, travailler au piqueur pour
l’abattage du charbon, et à la hache pour le boisage ! On verrait combien
il ferait, et combien il gagnerait ! C’est facile de faire des mètres avec
une plume dans un bureau, mais, au fond, c’est autre chose !
Je comprenais, à voir Charles aussi indigné, lui toujours si
paisible, que ces décrets étaient inacceptables. Et je les approuvais de faire
grève ; ils n’avaient que ce moyen-là pour montrer leur désaccord.
Elle commença le lundi 4 octobre. Au début, tout se passa
dans le calme. Il y eut quelques réunions, quelques manifestations, mais elles
étaient silencieuses : tout le monde était d’accord, il fallait faire
grève.
Je me sentais cependant dans un climat d’insécurité. Plus la
grève durait, et plus ma
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