La Poussière Des Corons
j’ai vécu dans l’anxiété. Et lorsqu’il revint, le soir, je compris
tout de suite, en le voyant, que j’avais eu raison d’être inquiète.
Il tremblait de fièvre, et semblait ne tenir debout qu’à
grand-peine.
Il prit son bain, parcouru de frissons, claquant des dents. En
dépit de sa résistance, je le fis mettre au lit et prendre sa température. Il
avait plus de quarante degrés.
Je lui appliquai des cataplasmes, des compresses d’eau
froide sur son front, dans l’espoir de faire baisser la fièvre. Au contraire, elle
sembla augmenter. Ses yeux clairs étaient étrangement brillants, et par moments
il ne me reconnaissait plus. Ses quintes de toux devenaient si fortes qu’elles
lui déchiraient la gorge.
A l’aube, épuisé, il s’endormit un peu, d’un sommeil agité
et superficiel. Je m’habillai rapidement, sortis et traversai la rue. En face, à
Catherine et à Robert, j’expliquai que Charles était malade.
— Ça ne m’étonne pas, dit Robert. J’avais bien
remarqué, hier, qu’il paraissait mal en point.
Je demandai à Catherine d’aller prévenir le médecin de venir
le plus vite possible. Puis je rentrai, en proie à l’angoisse.
Charles dormait toujours, et il toussait même en dormant. Il
avait deux taches rouges sur les pommettes, sa respiration était sifflante et
difficile. Je le regardais avec tout mon amour, consciente de mon impuissance. Je
me sentais mal à l’aise, désorientée : je n’avais jamais vu Charles malade ;
pour moi, il était indestructible, il était le roc sur lequel je m’appuyais
depuis plus de trente ans. Je n’arrivais pas à admettre qu’il pût être, lui
aussi, en proie à la maladie, à la souffrance. Et, de tout mon amour, je l’appelais
pour qu’il revînt vers moi. Mais il ne m’entendait pas.
Je fis rapidement le ménage, mis un peu d’ordre dans la
maison. Charles se réveilla et se remit à tousser. Je lui soulevai la tête, lui
fis boire du sirop. Je vis, avec un sentiment d’angoisse et de souffrance, qu’il
ne me reconnaissait pas.
Je restai près de lui, tenant sa main brûlante de fièvre
dans les miennes. Lorsque le médecin arriva, j’éprouvai une sorte de délivrance.
Lui, au moins, saurait soigner mon Charles.
Il l’ausculta, le palpa, posa son oreille sur sa poitrine, regarda
dans sa gorge, dans ses oreilles, avec une petite lampe. Il me demanda
gravement :
— Depuis quand est-il ainsi ?
Avec difficulté, je répondis :
— Depuis hier soir, surtout, ça s’est aggravé. Mais
avant, il était déjà malade…
Il dit, sévèrement, et sa voix était lourde de reproches :
— Pourquoi ne m’avez-vous pas appelé plus tôt ?
— Je… Il ne l’a pas voulu. Il a même tenu à aller
travailler, hier.
— Il est allé travailler dans cet état ! Je
comprends, maintenant !
Avec des gestes rageurs, il rangea ses instruments, ferma sa
trousse. Puis il me regarda dans les yeux :
— Je ne vous cacherai pas qu’il est très, très
malade. Il a une broncho-pneumonie, dans sa forme la plus aiguë. De plus, les poussières
de charbon qu’il a respirées pendant toutes ses années de fond contribuent à l’infection
et forment un obstacle certain à la guérison. J’espère, néanmoins, qu’il n’est
pas trop tard. Je vais essayer de le sortir de là.
Atterrée, je ne répondis pas. Une nouvelle fois je vivais un
cauchemar, dans lequel mon Charles, mon amour, mon compagnon de tant d’années, était
en danger. Je regardai, en dehors de la réalité, le médecin remplir une feuille,
je l’écoutai m’expliquer les soins à donner : les cachets, les sirops, les
cataplasmes, les ventouses… J’ai dû dire oui, j’ai dû acquiescer à tout ce qu’il
expliquait, mais je ne m’en souviens plus.
— Je reviendrai ce soir, annonça-t-il en sortant.
Catherine, qui l’avait vu partir, vint aux nouvelles.
Elle me trouva prostrée, assise à la table de la cuisine, regardant
sans la voir l’ordonnance du docteur.
— Eh bien, Madeleine ? Qu’est-ce qu’il a dit ?
Sans répondre, j’ai levé vers elle un regard qui disait mon
désarroi, ma douleur, mon impuissance. Elle comprit. Dans ses yeux vint une
grande pitié, et elle dit :
— C’est grave ?
Je hochai affirmativement la tête, incapable d’émettre un
seul mot. Dans un geste d’amitié et de réconfort, elle me serra l’épaule :
— Il faut bien le soigner, Madeleine. Il s’en
sortira, il est costaud, ton
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