La Poussière Des Corons
semaine, une annonce de Marcelle qui ne venait pas.
Jean, de son côté, se donnait à fond à son métier. Le
dimanche, avec Charles, il avait des discussions passionnées. Son sujet préféré
était, pour le moment, la modernisation. Je l’entendais parler de perforatrices
à eau qui, en supprimant les poussières, diminuaient sensiblement les risques
de silicose. Il parlait aussi de l’électrification, qui résolvait le problème
du bruit des marteaux-piqueurs, mais apportait le danger d’électrocution ou d’explosion
que pouvait provoquer une simple étincelle électrique. Et lui, il aurait voulu
supprimer tous les risques. Charles, avec philosophie, protestait doucement :
— Ce n’est pas possible, il y aura toujours des
risques !
— Mais moi, rétorquait Jean, je voudrais que les
mineurs puissent descendre en étant sûrs qu’ils remonteront. Je voudrais que
leurs femmes n’aient jamais plus la crainte de ne pas les voir revenir.
Marcelle me chuchota :
— Jean est mieux accepté, mais certains mineurs
sont encore réticents. Ils ont du mal à admettre qu’un ingénieur est avec eux, et
non contre eux.
J’espérais, de tout mon cœur, qu’il réussirait. Il avait mis
tout son espoir dans son métier, et il était profondément sincère. Il était
heureux dans sa vie conjugale avec Marcelle, et je voulais qu’il fût heureux, également,
dans sa vie professionnelle.
Cet été-là, Jean prit des cours de conduite, et s’acheta une
voiture, une 4 CV Renault.
— Bien sûr, dit-il, c’est une petite voiture, mais
c’est un début ! Par la suite, quand nous aurons des enfants, nous en
achèterons une plus grande !
Dans le parc de sa maison, la voiture, toute neuve, étincelait.
Charles et moi, nous regardions, admiratifs et presque intimidés. Jean, fier et
heureux comme un enfant, nous fit monter et nous emmena faire un tour.
— C’est formidable, ne trouvez-vous pas ?
Je souriais. Mes souvenirs me reportaient des années en
arrière ; je revoyais une autre voiture, celle que conduisait Henri. Maintenant,
c’était mon fils qui conduisait, et il me demandait, avec le même regard câlin :
— La promenade te plaît-elle ?
Il me fallait le temps de m’habituer. Près de moi, Charles
ne disait rien. C’était la première fois qu’il montait dans une voiture ; il
regardait tout avec des yeux d’enfant. Jusque-là, notre seul moyen de
locomotion avait été le train. Nous commencions à découvrir qu’une voiture
personnelle offrait de nombreux avantages, comme de partir de chez soi au lieu
d’aller à pied jusqu’à la gare, et de partir, en plus, à l’heure qui nous
convenait.
Aussi, cet été-là, avons-nous fait beaucoup de promenades. Chaque
dimanche, Jean nous emmenait. Nous avons assisté à toutes les fêtes des
environs, nous sommes allés plusieurs fois au cinéma. Nous avons vu Les Deux
Or phelines et Les Misérables, et j’ai pleuré. Nous
sommes allés aussi à Béthune, à Lille, voir des opérettes, et j’ai découvert la
magie du théâtre.
Au début de l’automne, tous les quatre, nous avons rendu
visite à Georges et Anna, qui nous avaient invités dès le départ de leurs
patrons. Nous sommes partis très tôt, à l’aube, et nous sommes arrivés dans le
milieu de la matinée. Ils nous attendaient, joyeux et impatients. La propriété
dont ils s’occupaient était située dans la forêt du Touquet, au milieu d’autres
propriétés du même genre, et je restai stupéfaite devant l’étendue du terrain. On
aurait pu y loger facilement la moitié du coron. La maison elle-même était
immense. Le pavillon à leur disposition, près de la grille d’entrée, était
charmant et coquet. Anna nous fit visiter toutes les pièces, et ses yeux
brillaient de bonheur et de fierté. En souriant, je lui dis :
— Tu es heureuse ?
— Oh oui ! Nous sommes si bien, ici ! Regarde
comme Georges a bonne mine, maintenant.
Je l’avais déjà remarqué. Mon beau-frère avait le visage
hâlé de quelqu’un qui travaille toujours dehors. On lisait dans ses yeux sa
certitude heureuse d’avoir trouvé sa voie. Il était très différent du mineur
qui, pendant des années, avait subi son métier en silence.
Les enfants poussèrent des cris de joie en voyant les
bonbons que je leur apportais. La petite Marie-Jeanne hésita avant de nous
reconnaître, et cela me rendit triste. Loin de nous, elle nous oublierait. Comment
pouvait-il en être
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