La Poussière Des Corons
Charles ! Donne-moi la feuille, je vais aller
te chercher les médicaments.
Elle prit l’ordonnance et sortit. Comme un automate, je
montai l’escalier et retournai voir Charles. Il était toujours dans son monde, où
l’isolait la fièvre, et me regarda sans me voir. Ses yeux, qui habituellement
se posaient sur moi avec tant d’amour, étaient aujourd’hui atrocement vides. Cela
me fit si mal que la carapace dont je m’étais entourée pour résister aux
paroles du docteur se brisa d’un coup, mettant ma douleur à nu et me laissant
désarmée. Alors je me suis jetée à genoux près du lit et j’ai pleuré, comme un
enfant désespéré. Et, au-delà de mon chagrin, au-delà de mes larmes, je voyais
toute notre vie ensemble, je voyais son amour jamais démenti, sa gentillesse
envers moi, sa fidélité, sa tendresse immuable au long des jours. Je revoyais
les moments douloureux que nous avions vécus, et le réconfort que m’avait
apporté sa présence. Je comprenais que, pour la première fois depuis que nous
étions mariés, je ne pouvais plus compter que sur moi : c’était à moi d’être
forte, c’était à moi de le ramener vers nous, vers la vie. Et je me suis sentie
aussi vulnérable et faible qu’un petit enfant.
Catherine revint m’apporter les médicaments, et je commençai
aussitôt à soigner mon pauvre amour malade. Je fis dissoudre les cachets, le
fis boire, lui donnai des cuillerées de sirop. Je lui mis des cataplasmes, les
maintenant sur sa poitrine à l’aide de mes deux mains posées à plat, car il
remuait et toussait sans cesse. Je pleurais en le soutenant pendant ses quintes,
je fermais les yeux pour refuser l’horreur qui m’envahissait, et j’avais mal
pour lui lorsque ensuite, épuisé, il se laissait retomber, haletant et brisé. De
toutes mes forces, j’essayais de lui envoyer mon amour, mais je me rendais
compte, avec un déchirement douloureux, qu’il n’était même pas conscient de ma
présence.
Je passai toute la journée à son chevet, le quittant le
moins possible. Lorsque, entre ses accès de toux, il reposait plus calmement et
semblait dormir, je restais près de lui, essayant de lui insuffler mes forces, mon
énergie, ma santé.
Plusieurs voisines vinrent me voir et me proposer leur aide.
Je les remerciai gentiment, mais je voulais être seule pour soigner Charles. L’une
d’elles fit mes courses, l’autre s’occupa de mon feu, me prépara un repas
auquel je ne touchai pas. Catherine, dans l’après-midi, m’apporta une pleine
cafetière et je bus, coup sur coup, deux tasses de café bien fort qui me
revigorèrent. Tous ces gestes d’amitié m’étaient doux, m’apprenaient que je n’étais
pas seule, que d’autres participaient à mon inquiétude et m’aidaient dans la
mesure de leurs moyens.
Vers le soir, Jean et Marcelle, prévenus par Catherine, arrivèrent.
Le regard inquiet de mon fils rencontra le mien :
— Maman, dit-il, oh maman ! Que se
passe-t-il ?
Je le lui expliquai, et, au fur et à mesure que je parlais, je
voyais ses yeux clairs s’assombrir. Marcelle, à ses côtés, ressemblait à une
enfant perdue. Lorsque, dans un sanglot, je m’arrêtai de parler, Jean secoua la
tête, la releva avec une sorte de défi :
— Nous allons t’aider à le guérir. Il faut qu’il
s’en sorte, il le faut !
Derrière moi, ils grimpèrent l’escalier, entrèrent dans la
chambre. Dans le lit, Charles, les yeux clos, la respiration sifflante, luttait
contre la fièvre. Jean s’approcha, se pencha sur lui :
— Papa ! dit-il d’une voix sourde. C’est moi,
Jean.
Les yeux de Charles s’ouvrirent, son regard vague fit un
effort, sembla vouloir chercher, par-delà la frontière qui le séparait de nous,
celui qui l’appelait. Mais il n’y réussit pas. Ses paupières retombèrent, et de
nouveau il ne fut plus là.
Jean me regarda, malheureux.
— Il ne nous reconnaît pas ! Il a beaucoup
de fièvre ! Si seulement la fièvre pouvait baisser…
Il resta près de lui, et, avec Marcelle, je redescendis.
Elle m’aida à préparer le repas, car ils avaient décidé de
rester avec moi.
Le médecin revint, et ausculta Charles de nouveau. Jean et
moi, nous le regardions, la même question anxieuse dans les yeux. Il fit une
moue :
— Il ne va pas plus mal, mais il ne va pas mieux
non plus. Je vais lui faire une piqûre.
Il ordonna de continuer le traitement, et promit de revenir
le lendemain matin.
La soirée,
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