La Poussière Des Corons
autrement ?
Nous avons passé une bonne journée, bavardant comme des pies.
Nous avions tant de choses à nous raconter ! L’après-midi, Anna nous
montra, à Marcelle et à moi, l’intérieur de la maison, qu’elle devait tenir
propre et impeccable. Il y avait tant de pièces, tant de meubles, que l’on eût
dit un château. Je ne pus m’empêcher de remarquer :
— Ma pauvre Anna ! Tu ne dois jamais avoir
un instant de répit ! Il y en a, des vitres à nettoyer et des meubles à
épousseter !
— Mais non, dit-elle en souriant. Quand la maison
est inoccupée, rien ne se salit. Je fais un nettoyage tous les quinze jours, ça
suffit !
Nous nous sommes promenés dans le parc. Pour Georges
également, son entretien demandait du travail. Il y avait des haies à tailler, des
massifs de fleurs à soigner, des pelouses à tondre. Il s’occupait aussi d’un
potager, qui était à eux, derrière leur pavillon, et dans lequel il faisait
pousser les légumes dont ils avaient besoin.
Ils semblaient heureux de leur sort. Un instant, j’essayai
de m’imaginer à leur place, avec Charles. Je n’y parvins pas. J’avais tellement
l’habitude de vivre dans le coron, où j’étais née, qu’il m’était impossible de
penser à vivre ailleurs. Dans le coron, les maisons étaient proches les unes
des autres ; ici, leur pavillon était isolé, entouré seulement d’arbres et
de verdure. À la place d’Anna, je me serais sentie seule, et perdue, et
désorientée. Il m’aurait manqué la chaleur et l’amitié des autres. Il m’aurait
manqué, aussi, l’immuable décor du chevalement de la mine, avec ses deux
grandes roues qui, lorsqu’elles tournaient, racontaient la descente et la
remontée des hommes qui depuis toujours faisaient partie de ma vie – les
mineurs.
Nous les avons quittés en promettant de revenir souvent, maintenant
que Jean avait une voiture. Je fus heureuse, en rentrant, de retrouver ma
maison, et Charles exprima tout haut ma pensée lorsqu’il me dit :
— Ce n’est pas mal, là où ils sont. Mais nous, notre
vie est ici, et nous y sommes bien, n’est-ce pas, Madeleine ?
J’ai hoché la tête avec gravité. Cette maison était celle où
je vivais avec Charles depuis notre mariage, elle gardait tous nos souvenirs, elle
faisait partie de notre vie. Et j’étais heureuse que Charles, lui aussi, s’y
trouvât bien et n’en voulût pas changer.
Les mois passèrent ; Jean se passionnait toujours pour
son métier, et moi j’attendais toujours la venue d’un petit-fils ou d’une
petite-fille. Charles, comme moi, tout doucement vieillissait. Ses cheveux
devenaient gris, et des rides creusaient son visage. Mais ses yeux étaient
toujours les mêmes, clairs, inchangés ; ils gardaient leur jeunesse et
leur candeur en dépit des épreuves.
Sa retraite approchait, et il en éprouvait à la fois du
soulagement et du regret. Soulagement à l’idée de pouvoir bientôt goûter un
repos bien mérité, regret parce qu’il ne participerait plus activement à la vie
de la mine, qu’il serait, une fois pour toutes, en dehors. Car, contrairement à
son frère Georges, mon Charles aimait son métier et faisait corps avec lui.
Jean nous emmena, au cours de nos sorties du dimanche, rendre
visite à sa marraine Juliette. Elle nous accueillit avec joie. Elle s’habituait
mieux, maintenant, et semblait heureuse entre son mari et son fils. Ils vinrent
également chez Marcelle et Jean, qui les invitèrent et leur montrèrent, avec
une fierté touchante, leur maison. Dans le jardin, alors que Jean marchait
devant nous avec les autres, et que je suivais en donnant le bras à Juliette, celle-ci
me chuchota :
— Regarde, Madeleine ! Regarde Jean. Il a
exactement la stature et la démarche de mon frère !…
Je m’aperçus qu’elle disait vrai. Il se tenait droit et fier
comme Henri, avait la même taille, les mêmes épaules. À côté de lui, Charles me
sembla voûté, tassé sur lui-même, et je regrettai une fois de plus que Jean ne
fût pas vraiment son fils.
5
DE nouveau, l’hiver fut là. Charles était à quelques mois de
la retraite. Égoïstement, je me réjouissais à l’idée qu’il serait bientôt
toujours avec moi, qu’il ne descendrait plus chaque jour au fond de la mine. Car,
même si je ne voulais pas me l’avouer, la crainte d’un éboulement, d’un coup de grisou, d’une
explosion, d’une catastrophe quelconque était tapie au fond de ma conscience.
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