La Poussière Des Corons
Ce
demeurait une inquiétude latente, que j’essayais d’ignorer, mais qui, à mon
insu, me tendait les nerfs, me mettait aux aguets, sur le qui-vive. Je n’en
prenais pas toujours conscience, mais quand, chaque soir, Charles rentrait, avec
son amour pour moi dans ses yeux clairs, la joie et le soulagement que je
ressentais étaient révélateurs.
A chacun de ses retours, il faisait déjà noir. Je l’attendais
dans notre cuisine chaude et intime, où le feu chantait, où tous nos souvenirs
vivaient. J’avais fait chauffer l’eau pour son bain, j’avais tiré les doubles
rideaux sur la nuit, sur les vitres constellées de gouttes de pluie. J’avais
préparé le repas, que nous prenions tous les deux en bavardant de tout et de
rien. Même le silence, entre nous, ne me gênait pas : c’était un silence
complice qui, loin de nous séparer, nous unissait davantage, riche de tant d’années
passées ensemble.
Depuis plusieurs jours, Charles était enrhumé. Ce soir-là, ses
quintes de toux m’effrayèrent, tant elles étaient violentes et prolongées. Il
vit mon inquiétude, essaya de me sourire :
— Ce n’est rien, dit-il, ça va passer !
Après le repas, il voulut absolument fumer, comme d’habitude.
J’essayai de l’en dissuader, mais il refusa de m’écouter. Il prit son paquet de
tabac gris, se mit à rouler une cigarette, et je voyais les efforts qu’il
faisait pour s’empêcher de tousser. Il en tira deux bouffées, et puis dut s’arrêter,
car il fut secoué par une quinte de toux tellement forte qu’elle lui arracha
des larmes. Lorsqu’il fut calmé, il dut se rendre à l’évidence.
— Il n’y a rien à faire, Madeleine ! La
fumée me pique la gorge.
— Tu fumeras lorsque tu iras mieux. Pour le
moment, il faut te soigner.
Je lui badigeonnai la gorge, lui appliquai des compresses de
vinaigre, lui fis boire du sirop de radis noir. C’étaient, habituellement, les
remèdes que nous utilisions, et ils nous réussissaient. Mais, pendant la nuit, il
toussa encore beaucoup. Le lendemain matin, il n’allait pas mieux.
Il partit néanmoins travailler. Il avait été habitué, très
tôt, à être dur avec lui-même, et n’aurait pas pensé à rester à la maison pour
se soigner. Même moi, à ce moment-là, je n’étais pas encore inquiète. Il nous
arrivait de nous enrhumer, l’hiver, et Charles, plus que moi, avait la gorge
irritable, à cause des poussières de charbon qu’il respirait à longueur de
journée. Mais un simple rhume finissait toujours par disparaître, et je n’imaginais
pas, cette fois encore, qu’il pût en être autrement.
Pourtant, quand Charles rentra, son état avait empiré. Il
avait pris froid alors que, en sueur, il attendait dans un courant d’air glacé
l’arrivée de la cage pour remonter. Il frissonnait et toussait encore plus que
la veille.
— À chaque fois que je tousse, ça me brûle ici, m’expliqua-t-il
en mettant sa main sur sa poitrine.
Je le soignai comme la veille, et, en plus, appliquai sur sa
poitrine et sur son dos des cataplasmes de farine de moutarde. Il les garda le
plus longtemps possible, et lorsque je les retirai, la peau était si rouge que
j’en fus effrayée.
— Cela m’a fait du bien, reconnut-il. Je me sens
soulagé.
Il s’endormit paisiblement, mais cela ne dura pas. Pendant
la nuit, la toux revint, plus violente. Je lui donnai du sirop, qui ne sembla
faire aucun effet. À la fin, il se leva :
— Il est inutile que je reste couché. C’est
encore pire quand je suis allongé. J’ai l’impression d’avoir un feu qui me
brûle la poitrine.
Je commençais à être inquiète. Lorsqu’il fut l’heure pour
lui de se préparer pour se rendre à la mine, je lui suggérai de rester et de se
soigner.
— Voyons, Madeleine, je ne suis pas une
femmelette ! Ce n’est pas un petit rhume qui m’empêchera d’aller
travailler !
Il mit sa veste, prit sa mallette contenant son « briquet ».
Je tâtai son front, qui me parut brûlant. J’insistai encore :
— Ce n’est pas prudent, Charles. Tu es malade !
Je t’en prie, n’y va pas.
Il haussa les épaules en souriant :
— Veux-tu que l’on dise de moi que je prends de l’avance
sur ma retraite, alors que je n’ai jamais eu un seul jour d’absence ? Allons,
Madeleine, je n’ai plus que six mois ; laisse-moi les faire. Ensuite, tu m’auras
tout à toi.
Avec un sentiment de catastrophe, je l’ai laissé partir. Toute
la journée,
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