Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
Vom Netzwerk:
Pourtant, repasser le linge était long et pénible. J’appris à
repasser sans un pli, et à juger de la chaleur des lourds fers en fonte en les
approchant de ma joue, comme le faisait ma mère. Je restais debout tout l’après-midi ;
là encore, les muscles de mon dos, de mon cou, de mon bras droit devenaient
rapidement douloureux.
    Je découvris ainsi que le travail d’une femme, dans une
maison, pouvait être dur et fatigant. Et, comme Charles, je devenais plus grave,
je perdais mon insouciance. Moi aussi, je faisais l’apprentissage de la vie.
    Les après-midi, alors qu’avant je jouais, j’apprenais
maintenant à coudre. Ma mère m’installait à sa machine, et m’en expliquait le
fonctionnement. Ce ne fut pas facile, non plus. Il fallait actionner la machine
par une pédale, au pied, en appuyant d’avant en arrière, sans jamais arrêter, tout
en guidant le tissu sous l’aiguille, sans dévier, et sans se faire pincer les
doigts. Ce que j’ai pu souffrir, au début ! Toujours quelque chose n’allait
pas : ma couture n’était pas droite, ou bien je tirais trop fort sur mon
tissu et il fronçait, ou bien encore mon fil se cassait. J’ai bien souvent
retenu mes larmes. Mais, comme je ne voulais pas montrer à ma mère mon
découragement, je serrais les dents, et patiemment m’obligeait à recommencer.
    Peu à peu, j’appris et je m’habituai. Je devins même
relativement habile. À mon tour, je sus coudre sans m’interrompre. La douleur
qui irradiait le long de mon dos toujours courbé et de ma jambe droite, celle
qui actionnait la pédale, me devint familière.
    Je ne me plaignais pas, pourtant. J’étais chez moi, avec ma
mère. Il y avait de bons moments. Parfois, l’une de nos voisines venait nous
voir. Pour quelques instants, nous arrêtions notre travail, et nous nous
faisions une tasse de café. Cela nous permettait de nous détendre. En bavardant,
nous savourions notre café, qui nous donnait un nouveau courage pour nous
remettre à l’ouvrage.
    Et puis, quand mon père rentrait, je l’accueillais avec ma
mère. Elle l’aidait à se laver, et je le servais. C’était bon d’être ensemble, tous
les trois, et moi, j’éprouvais, là, entre eux, une sorte de plénitude heureuse.
Malgré ma fatigue, le soir, j’étais contente d’avoir, par mon travail, aidé ma
mère. Elle me disait souvent :
    — Comme j’apprécie de t’avoir, Madeleine ! Ton
aide me rend la vie beaucoup plus facile.
    Ces paroles chassaient ma fatigue, me faisaient oublier la
douleur de mon dos, de mes bras. Je me sentais payée, dans ces moments-là, de
toute ma peine.
    Il y avait pis. Je le vis par mon amie Marie. Elle aussi
occupait ses journées à aider sa mère, jusqu’à ce que son père fût blessé.
    Ce jour-là, je la vis arriver, complètement affolée. Elle
pleurait :
    — Madeleine ! On vient de ramener mon père
sur un brancard. Il est tombé, il est blessé.
    Nous avons couru, ma mère et moi, aux nouvelles. D’autres
voisines nous avaient précédées. Devant la porte, c’était tout un attroupement.
La solidarité, dans le coron, n’était pas un vain mot.
    Le docteur de la compagnie était là. D’après ce que je
compris, l’accident avait été causé par une explosion. Pierre, le père de
Charles et de Marie, était bowetteur. C’était, parmi le travail au fond, le
mieux payé, mais aussi le plus dangereux. Il consistait à creuser dans la roche,
au pic et à l’explosif, afin d’atteindre le charbon. Pierre, après avoir placé
sa charge d’explosif, avait voulu se reculer et avait glissé sur le sol boueux.
L’étroitesse de la voie avait fait qu’il était mal tombé, et il s’était cassé
la cheville. Marie et sa mère étaient catastrophées, et, en même temps, étrangement
résignées :
    — Je le savais, ça devait finir par arriver !
gémissait Jeanne, les larmes aux yeux.
    Personne ne la contredisait. Tout le monde savait bien qu’un
bowetteur devait avoir une chance extraordinaire pour échapper longtemps au
danger. Sans compter qu’un autre danger, plus insidieux mais tout aussi grave, menaçait
tous les bowetteurs. En frappant dans la pierre, ils travaillaient dans une
poussière continuelle, la silice, qui, analogue à la poudre de ciment, se
collait aux poumons et, à la longue, causait des dégâts irrémédiables. Le
mineur atteint maigrissait, toussait, crachait, et avait de plus en plus de
peine à respirer. « Il a attrapé le coup de

Weitere Kostenlose Bücher