La Poussière Des Corons
avais-je
demandé.
— Oui, bien sûr. Et il faut aller vite, sinon le
chef porion crie, et on n’est pas payé ! Il faut faire attention à ne pas
faire dérailler le wagon, il faut éviter les obstacles ; ça n’est pas
facile, dans le noir ! Heureusement, à la longue, on connaît le terrain
par cœur, le moindre creux, la moindre bosse, et on sait les éviter.
Je me rendais compte que, quel que fût le poste occupé, le
travail était toujours difficile. Je découvrais, d’après les récits des autres,
que l’important était non seulement de bien travailler, mais de travailler vite.
Pour la compagnie, le rendement seul importait. Et je sentais monter en moi, pour
tous ces mineurs dont je découvrais le dur labeur, une grande, une immense
admiration. J’admirais leur courage, leur endurance, leur acceptation d’un sort
qui me paraissait bien peu enviable.
Ils commençaient, cependant, à ne plus tout accepter les
yeux fermés. Ainsi, au mois de novembre, cette année-là, à l’époque des « longues
coupes », des heures supplémentaires pendant la période du 16 au 30
novembre, qui précédait la Sainte-Barbe, une grève éclata. Les syndicats
demandaient la suppression des longues coupes, que les compagnies
encourageaient, toujours pour la même raison : cela augmentait le
rendement.
Je me souviens de cette grève, j’avais treize ans. Je lisais
les tracts que les meneurs distribuaient, sur lesquels il était écrit des
phrases du genre : « Plus de longues coupes, huit heures par jour au
fond, ça suffit ! » Ou encore : « Camarades, notre sort est-il
pire que celui des bagnards ? Même les bagnards ont le droit de travailler
au soleil. Mais nous, notre lot est l’obscurité, le manque d’air, la poussière.
Luttez pour la suppression des longues coupes, qui nous privent de notre ration
quotidienne de lumière ! »
Je ne comprenais que trop bien leur révolte. Pendant toute
une quinzaine, les longues coupes maintenaient les ouvriers plus de douze
heures au fond chaque jour. Ainsi, ils descendaient alors que la nuit n’était
pas encore terminée, et remontaient quand il faisait déjà noir. Cette époque de
l’année était pour eux une obscurité perpétuelle. Ils quittaient la nuit pour
en retrouver une autre, et ils ne voyaient pas la lumière du jour pendant
quatorze jours d’affilée. Ils ne savaient plus ce qu’était le soleil.
Je les approuvais de faire grève. À leur place, cette longue
privation de clarté m’aurait été difficile à supporter.
Et ils eurent raison. Cette grève ne dura pas suffisamment
longtemps pour devenir dramatique ; commencée le 17 novembre, elle fut
terminée le 24. Et le conflit fut réglé à la satisfaction des syndicats : les
longues coupes furent supprimées.
Mon père, le premier, en fut soulagé. Il était exténué par
le surcroît de travail, et puis il gardait le souvenir de son accident, pendant
une période de longues coupes, l’année de mes huit ans.
— Cet accident, expliquait-il souvent, ne se
serait pas produit en temps normal. Mais j’étais trop fatigué, et je n’ai pas
eu le réflexe de me jeter sur le côté.
Parmi les mineurs, beaucoup, à l’image de mon père, furent
heureux de cette décision. Néanmoins, il y en eut quelques-uns pour regretter
le double salaire de cette quinzaine-là. Mais les autres eurent tôt fait de les
raisonner :
— Oui, un double salaire, mais à quel prix !
Finalement tout le monde fut d’accord. Ce fut, pour eux, une
victoire, un autre des progrès grâce auxquels, petit à petit, les mineurs
arrivaient à améliorer leur condition.
Une évolution se faisait, pas seulement chez nous. Insensiblement,
le monde se mettait à changer. Ainsi, nous prenions l’habitude de voir passer
dans le ciel les premiers aéroplanes, de croiser, dans les rues du village, les
rares voitures qui le traversaient dans un tourbillon de poussière et un
vacarme infernal qui terrorisaient les chevaux.
Moi aussi, je changeais. Je devenais moins primesautière, plus
grave. Ce fut grâce à un livre de contes que je pris conscience du changement
qui se faisait en moi, à mon insu. Ce livre était un cadeau de M me Blanche,
et, depuis que je le possédais, je l’avais toujours lu avec le même plaisir. Cette
année-là, après l’avoir laissé de côté pendant plusieurs mois, je le repris un
jour, savourant à l’avance le plaisir que je savais devoir ressentir à sa
lecture.
Mais,
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