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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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bowette », disait-on alors.
    Cette maladie, qui fut, par la suite, appelée silicose, était
impitoyable. Tout au long de ma vie, j’ai vu mourir des vieux mineurs de ce mal
qui les minait à petit feu et finissait par en faire des invalides. La silice
qui, au fil des ans, s’était accumulée dans leurs poumons, petit à petit, rendait
la respiration si pénible et si difficile qu’elle finissait par devenir une
véritable souffrance. Certains, vers la fin, n’arrivaient même plus à parler. Ils
tendaient leurs dernières forces dans ce seul but : respirer. Et, une fois
que l’on avait entendu le bruit rauque et déchirant de leur respiration, on ne
l’oubliait jamais plus.
    Pierre, lui non plus, ne devait pas y échapper, plus tard. Quant
à l’accident de ce jour-là, il ne toucha pas que lui. Il eut aussi des
conséquences directes sur la vie de Marie.
    Immobilisé, un mineur n’avait plus que la moitié de son salaire.
Pour compenser le manque d’argent, Marie demanda à entrer au triage. Elle en
était fière. Elle aussi me disait :
    — Je vais travailler, je vais être « cafus [2]  ».
Grâce à moi, l’argent ne manquera pas.
    Pauvre Marie, elle déchanta bien vite ! Le travail
était dur pour ses treize ans. Comme Charles, elle eut vite les mains meurtries.
Elle dut apprendre à travailler dans la poussière, le bruit et les courants d’air.
Je pris l’habitude de la voir quand elle revenait de la mine, le visage noir de
charbon, vêtue d’un grand sarrau, la tête emprisonnée dans un grand carré de
tissu bleu et blanc qui lui recouvrait les épaules, pour empêcher le charbon de
pénétrer dans son cou. En plus, c’était l’hiver. Les cailloux qu’elle devait
ramasser étaient froids, mouillés, gelés, et ses mains se couvrirent de
crevasses qui éclataient, dans lesquelles entrait la poussière de charbon, et
qui ne se refermaient pas. Sa mère les soignait de son mieux, elle y mettait de
l’huile, de la graisse. Marie devait aller travailler, malgré tout, et moi je n’étais
pas loin de la considérer comme une véritable martyre.
    Plus d’une fois, je l’ai vue pleurer, mon amie Marie, sur la
douleur insupportable de ses mains gercées. Je la serrais contre moi, j’étais
incapable de trouver des mots qui auraient pu la consoler. En existait-il, d’ailleurs ?
    C’est pourquoi, en comparaison, je ne me plaignais pas. Je
travaillais dur, moi aussi, mais j’étais à la maison. Si j’avais froid, je
pouvais me chauffer. Je n’étais pas, huit heures par jour, dans un hangar
glacial, avec un surveillant qui hurlait si le travail n’allait pas assez vite
à son goût.
    Marie perdit là son sourire ; ses joues, qui avaient
gardé la rondeur et la douceur de l’enfance, se creusèrent et lui donnèrent, bien
trop tôt, un visage d’adulte.
    Son martyre, heureusement, ne dura que quelques semaines. Dès
que son père recommença à travailler, elle reprit sa place chez elle.
    Le travail m’absorbait. Je ne voyais plus Juliette que de
loin en loin. Parfois, lorsque nous n’avions pas trop de couture à faire, nous
pouvions libérer un après-midi. Ma mère me disait alors :
    — Tu peux aller voir Juliette, si tu veux.
    Je m’échappais avec plaisir, et Juliette, elle, m’accueillait
avec joie. Je pouvais avec elle retrouver ma jeunesse, mon insouciance, mes
jeux. Elle était mon amie, et je l’aimais toujours autant. Mais plus je
grandissais et plus je m’apercevais combien notre vie était différente. Juliette
ne connaissait pas les travaux qui étaient les miens, et elle n’avait aucun mal
à conserver une insouciance d’oiseau.
    Cela me faisait du bien d’être avec elle ; à son
contact je perdais un peu de ma gravité. Mais je savais que cela ne pouvait
durer. J’avais appris assez tôt que ma vie était de travailler, et non pas de m’amuser
et de rire.
    Je ne voyais plus beaucoup Henri, qui était pensionnaire
dans une école de Lens.
    — Il fait des études, m’avait dit Juliette. Il
veut être directeur, comme papa.
    J’avais enfermé soigneusement son image dans mon cœur, et je
la gardais là, jalousement. Je n’en parlais à personne, c’était mon secret.
    Charles, lui, était maintenant galibot rouleur. Il poussait
les berlines remplies’ de charbon jusqu’à l’endroit où les chevaux venaient les
chercher et repartait avec sa berline vide, pour la remplir.
    — Tu fais ça toute la journée ? lui

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