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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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Qu’aurait-il dit, s’il avait encore été là ? Était-ce mieux qu’il n’y
fût plus ?
    J’appréhendais le moment où je me retrouverais seule avec
Charles. Que se passerait-il alors ? Au fur et à mesure que la soirée s’avançait,
je sentais mes mains devenir glacées, et j’avalais convulsivement ma salive
pour réprimer la nausée qui montait. J’avais peur.
    Les invités commencèrent à s’en aller, les uns après les
autres. J’aurais voulu les retenir, j’aurais voulu retenir le temps. Je m’affolais
de le voir passer inéluctablement. Lorsque le dernier invité fut parti, nous
restâmes encore un peu, en famille. Et puis il fallut bien partir, nous aussi. Ma
mère m’embrassa en pleurant :
    — Je vais me retrouver toute seule chez moi, maintenant.
Viens me voir souvent !
    J’aurais beaucoup donné pour pouvoir être encore avec elle, comme
avant. Mais cela ne m’était plus permis. Je devais suivre mon mari.
    Les parents de Charles nous embrassèrent affectueusement. Nous
sommes sortis, Charles et moi, pour aller rejoindre notre maison qui nous
attendait. Il faisait nuit, et en marchant près de Charles, dans le coron
silencieux, j’avais l’impression de rêver. Je me disais : « Je suis
avec Charles, je vais vivre avec lui. » Et je n’arrivais pas à m’en
persuader.
    En entrant chez nous, l’appréhension me reprit. C’était même
plus que cela, c’était un véritable trac. Là, subitement, seule avec lui, dans
la pièce que j’avais arrangée moi-même et où je me sentais pourtant étrangère, je
venais de me rendre compte qu’il était maintenant mon mari. La nausée que j’avais
réprimée toute la soirée revint, violente. J’eus le temps de dire :
    — Oh, Charles, je… Excuse-moi !
    Et je me précipitai dans le cabinet de toilette, où je me
mis à vomir lamentablement.
    Lorsque je revins dans la pièce, Charles parut effrayé par
mon aspect :
    — Madeleine ! Tu es malade ? Mon Dieu, tu
es verte !
    Voyant que je tremblais, il me prit contre lui et m’entoura
de ses bras.
    — Viens, tu es glacée. Essaie de te réchauffer un
peu.
    Lentement, je sentis sa chaleur m’envelopper, et mes
frissons se calmèrent.
    — Ça va mieux, Madeleine ? demanda-t-il
doucement.
    — Oui, dis-je tout bas.
    Je n’osais pas le regarder. Qu’allait-il dire, maintenant, qu’allait-il
faire ? L’inquiétude revenait.
    — Va te coucher, Madeleine, dit-il avec douceur, et
essaie de dormir.
    Je le regardai avec crainte. Il me rassura :
    — Ne crains rien, je vais te laisser tranquille. Tu
es malade, tu as besoin de sommeil. Il est tard, va dormir.
    N’osant encore y croire, je dis :
    — Mais… mais toi, Charles ?…
    — Ne t’inquiète pas pour moi, Madeleine. Je vais
me mettre dans le fauteuil. De toute façon, dans quelques heures je me lève
pour la mine.
    Le soulagement que je ressentais me donnait des remords. J’insistai :
    — Mais… tu ne seras pas bien ?
    Il sourit, avec un mélange de tendresse et d’amertume :
    — Je peux dormir n’importe où, tu sais. Pendant
la guerre, j’ai dormi dans des conditions bien pires. Un fauteuil est un
véritable luxe, à côté.
    Il me regarda, et je me sentis enveloppée par tout l’amour
qu’exprimaient ses yeux.
    — Va dormir, Madeleine, va !
    Je m’approchai de lui, timidement :
    — Bonsoir, Charles.
    Il m’embrassa sur le front, me repoussa :
    — Dors bien, ma chérie.
    Ce petit mot tendre, le premier qu’il utilisait envers moi, me
troubla étrangement. Avec un sentiment qui ressemblait à de la culpabilité, je
montai l’escalier, entrai dans la chambre. Le grand lit était là, impressionnant.
Mais, cette nuit, j’y serais seule, me dis-je avec le même soulagement. Je me
déshabillai et, à peine couchée, complètement épuisée, je m’endormis.
    Lorsque je m’éveillai, Charles était parti. Il m’avait
laissée dormir. Mon cœur se gonfla de reconnaissance pour sa délicatesse. Je me
levai, mis la maison en ordre, fis un peu de ménage, et préparai le repas. Ma
mère vint me voir :
    — Ça va, Madeleine ? Tout va bien ?
    J’ai répondu oui, laconiquement. Je ne parlai pas de l’attitude
de Charles ; elle ne m’interrogea pas davantage.
    — Comme la maison semble vide, sans toi ! Je
me sens perdue !
    Je souris, un peu absente. Je prenais pied dans ma nouvelle
vie, et je ne savais pas encore trop ce qu’elle serait. Si seulement j’avais

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