La Poussière Des Corons
Elle aussi, comme ma mère,
déclara :
— Il doit t’aimer beaucoup. Tu as de la chance, au
fond, Madeleine.
Oui, c’était vrai, j’avais de la chance que Charles fût là.
À Juliette non plus, je n’ai pas parlé de mes inquiétudes. Qu’aurait-elle pu me
dire ? Je savais bien moi-même que je n’avais pas d’exigences à formuler, je
devais déjà être heureuse d’être acceptée ainsi par Charles, et je n’avais qu’une
chose à faire : être pour lui une femme fidèle et dévouée.
Ma santé ne s’améliorait pas. J’avais encore beaucoup de
nausées. Le matin, je ne pouvais plus supporter l’odeur du café. C’était
pénible, et je m’effrayais, par moments, de l’état dans lequel j’étais, qui ne
me laissait pas oublier qu’en moi un enfant commençait de vivre, sans que je l’eusse
voulu.
Charles m’entourait de tendresse. Il venait souvent me voir,
et je m’arrangeais toujours pour que nous ne soyons jamais seuls tous les deux.
Il semblait se contenter de la situation. Son attitude envers moi était la même
qu’avant, sauf que, maintenant, il me tenait les mains, et me parlait avec
douceur et amour. Il ne cherchait pas à m’embrasser, à part deux baisers sur
les joues lorsqu’il me quittait le soir. J’en étais soulagée.
La nouvelle de mon prochain mariage fit le tour du coron. Nombreuses
furent les voisines qui vinrent nous voir, les yeux brillants de curiosité. Elles
en furent pour leurs frais. Ma mère, à toutes, déclara simplement :
— Oui, elle va épouser Charles. Il est inutile qu’ils
aient de longues fiançailles, ils se connaissent depuis l’enfance.
Charles avait demandé un logement à la Compagnie des mines, car,
disait ma mère, quand on est marié, chacun chez soi. Un mineur qui se mariait
avait le droit d’avoir sa maison. Il venait de se bâtir des nouvelles
constructions, à l’autre bout du coron, où nous nous installâmes. Les jours qui
précédèrent le mariage furent occupés par les nombreux préparatifs. Il fallait
équiper le logement. C’était une maison claire et agréable, avec deux pièces en
bas et deux en haut. Elle me changeait de celle où je vivais avec ma mère, qui
était tout en rez-de-chaussée et ne comprenait que trois petites pièces. De
plus, elle faisait partie d’un pavillon de deux logements, espacé des autres de
quelques mètres, ce qui donnait l’impression d’avoir plus d’espace, contrairement
aux anciennes maisons qui se succédaient collées les unes aux autres.
Je m’y plus tout de suite. L’électricité y était installée. Tout
était neuf et beau. Avec une sorte de fébrilité, je me mis à coudre des rideaux,
et je m’appliquai à rendre l’endroit coquet. Cela m’obligeait à réaliser que
bientôt je serais mariée, je vivrais avec Charles, je n’aurais plus ma mère
avec moi. Je n’arrivais pas à y croire vraiment.
Juliette venait m’aider, de temps en temps. Elle se montrait
enthousiaste :
— Je t’envie presque ! disait-elle. Une
maison pour toi toute seule : tu te rends compte !
Nous avons meublé les pièces. En bas, un salon et une
cuisine. En haut, les chambres. Il fallut acheter un grand lit, et je frémis en
le voyant. Devrais-je y dormir avec Charles ? Cela me paraissait quasi
impossible.
Les parents de Charles, et ses deux frères, Julien et Georges,
lui offrirent un fauteuil : un vrai luxe ! Julien et Georges avaient
eux aussi pris le chemin de la mine. Georges, le plus jeune, qui venait d’avoir
quatorze ans, était galibot comme Charles à ses débuts. Et il était fier d’être
mineur, d’apporter à sa mère, chaque quinzaine, son salaire comme les hommes de
la maison.
Mon mariage eut lieu la première semaine de novembre. J’ai
vécu toute cette journée avec une continuelle sensation d’irréalité. Dans la
jolie robe que m’avait confectionnée ma mère, je me sentais une autre. J’avais
l’impression que ce n’était pas vraiment à moi que tout cela arrivait. J’épousai
Charles à dix-sept heures. Les mariages se faisaient toujours l’après-midi, chez
nous, afin que les mineurs ne perdent pas leur journée de travail.
Par respect envers la mémoire de mon père, et étant donné
les circonstances, nous ne fîmes pas de grandes réjouissances. Il y eut
simplement un repas, chez Jeanne et Pierre. Les amis et voisins vinrent prendre
le café. Ma mère pleura beaucoup, en pensant à mon père. Moi aussi, je pensais
à lui.
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