La Poussière Des Corons
qu’un tombereau, chaque semaine, les emmène au terril. Lorsque le
vent soufflait dans notre direction, il nous amenait des nuages de poussière de
cendres qui se collait partout, sur les rebords des fenêtres ou sur le linge
que je mettais à sécher dehors.
Au cours du mois suivant, mes malaises disparurent peu à peu.
Charles dormait dans l’autre chambre, dans mon ancien lit, et je me sentais
plus détendue. Je me levais tôt le matin, pour le départ de Charles à la mine. Je
lui préparais son « briquet », le traditionnel casse-croûte du mineur.
Puis je faisais le ménage, les courses. Souvent Charles allait me chercher
plusieurs seaux d’eau en rentrant du travail, afin de m’éviter, dans mon état, de
porter de lourdes charges. Il était avec moi gentil, tendre, plein d’attentions,
et moi je ne m’occupais pas de lui autrement que s’il avait été mon frère.
Plusieurs après-midi par semaine, j’allais chez ma mère et
je cousais avec elle. Nous continuions ainsi à exercer notre métier de
couturière, et je ramenais chez moi les finitions à faire à la main, qui
occupaient mes soirées avec Charles. Lui lisait le journal, ou bien me parlait
de son travail à la mine. Nos années d’enfance et nos jeux communs nous avaient
rendus très proches. En somme, nous nous entendions bien. Il était passionné
par son métier, il me racontait les modernisations apportées à la mine après la
reconstruction des galeries détruites par les Allemands.
— Il y a l’électricité, maintenant, dans les
galeries. C’est fini, l’obscurité complète. Et nos outils aussi sont modernisés ;
on commence à utiliser l’électricité pour les machines.
Les premiers jours, tous les soirs, il s’extasiait, en
concluant inévitablement :
— C’est beau, tout de même, le progrès !
Puis il s’habitua. Et ce qui l’avait tant enthousiasmé au
début lui parut ensuite normal.
Le 1 er janvier, j’eus vingt ans. J’étais mariée
depuis deux mois, et rien n’était changé entre Charles et moi. Nous vivions
comme frère et sœur. Charles ne me disait rien, il semblait se contenter d’une
telle existence, et j’en étais satisfaite. Je me tournais entièrement vers l’attente
de mon enfant.
Un événement se produisit, dans le courant du mois, qui me
fit prendre conscience que mon enfant vivait en moi, et ne me permit plus de l’oublier.
C’était un mardi après-midi. J’étais chez ma mère, et je cousais des boutons
sur une robe pendant que ma mère était à la machine. Penchée sur mon ouvrage, attentive
à faire des petits points, j’ai soudain senti mon enfant bouger. Je n’ai pas
compris tout de suite. Je suis restée immobile, retenant ma respiration. Et le
doux mouvement a repris. J’ai mis ma main sur mon ventre et je l’ai senti, sous
ma paume, remuer doucement. J’ai été bouleversée. Pour la première fois, je
réalisai qu’il était vraiment là, et qu’il vivait.
— Que se passe-t-il, Madeleine ? demanda ma
mère.
J’ai tourné vers elle un regard émerveillé. Il me sembla qu’en
moi une grande clarté se faisait.
— Maman, je… je crois qu’il bouge…
Émue, elle se leva, vint près de moi. Elle posa sa main près
de la mienne, sur mon ventre. Et, unies par la même émotion, nous avons guetté
ensemble les premiers frémissements de la vie de mon enfant.
A partir de ce jour, je m’intéressai à cet enfant que j’attendais
et dont j’avais découvert la réalité. Je me rendis compte avec ravissement que je
l’aimais déjà. Au fur et à mesure que les jours passaient et que ma taille s’arrondissait,
j’éprouvais une sorte de plénitude heureuse. J’avais hâte qu’il fût là, tout en
souhaitant en même temps que durent longtemps ces mois où lui et moi ne
faisions qu’un.
Juliette venait souvent me rendre visite. Elle me demandait
si j’étais heureuse, et ma réponse affirmative la rassurait. Elle me donnait
quelquefois des nouvelles d’Henri, qui était toujours en Allemagne, mais cela
ne m’intéressait plus. J’avais rayé Henri une fois pour toutes de mon esprit. Je
n’arrivais pas à réaliser que c’était son enfant que j’attendais. En me
repoussant, il l’avait rejeté, et ce n’était plus le sien. Ce serait le mien, uniquement.
Un après-midi du mois de février, Juliette et moi bavardions
devant une tasse de café. Charles n’allait pas tarder à rentrer. Le chaudron
rempli d’eau pour son
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