La Poussière Des Corons
pu
considérer Charles comme un mari ! Mais je ne voyais toujours en lui qu’un
ami, le compagnon de mon enfance, de mes jeux. Pourquoi ne pouvais-je l’aimer
autrement ? Je me prenais à le regretter. Tout aurait été beaucoup plus
facile.
Ma mère partit, après m’avoir fait promettre d’aller la voir.
Et j’attendis le retour de Charles, en faisant le tour de ma maison, et en me
persuadant que dorénavant j’étais la maîtresse de ces lieux, que là était mon
foyer.
Lorsque Charles rentra, j’avais préparé, comme l’avait fait
tant de fois ma mère pour mon père, le chaudron pour le bain. Je l’installai
dans un coin de la cuisine, derrière le paravent qui avait appartenu à ma mère
et qu’elle m’avait donné. Lorsque Charles se fut lavé, je lui servis son repas.
Je lui racontai la visite de ma mère. De son côté, il me parla des
plaisanteries d’usage de ses camarades de travail envers un jeune marié. Je
rougis et ne répondis pas. Comment pourraient-ils se douter, tous les autres, de
l’étrange mariage qui était le nôtre ?
Le soir, mon appréhension revint. Je fis la vaisselle
pendant que Charles s’occupait du jardin. Quand il rentra, j’étais encore en
train de vomir. Mes malaises, qui m’avaient laissée tranquille toute la journée,
se réveillaient, en grande partie dus à la nervosité que je ressentais à l’idée
que Charles, peut-être…
De nouveau, il s’inquiéta :
— Madeleine ! Tu es encore malade ?
J’eus un geste d’impuissance :
— Ce n’est rien, Charles. Ça m’arrive souvent en
ce moment.
Comme la veille, il fit preuve d’un tact exceptionnel :
— Va te coucher, Madeleine, ne crains rien. Tant
que tu seras malade, je te laisserai tranquille. N’aie pas peur de moi, je ne
te forcerai pas. Je veux que tu viennes vers moi de toi-même. Je ne ferai
jamais rien contre ta volonté. Aussi, je ne veux plus te voir ce regard traqué.
Je veux que tu sois heureuse, avec moi. Je t’aime, Madeleine !
Il me tendit les mains, prit les miennes :
— Madeleine, ma chérie, tes mains sont glacées !
Va dormir, je me contenterai du fauteuil.
— Mais, Charles, tu ne peux pas toujours…
Il me coupa, avec douceur :
— Écoute, ne dis rien. Demain, j’irai chercher
chez ta mère ton lit de jeune fille et je le mettrai dans l’autre chambre. Je
dirai que tes malaises me réveillent la nuit, que cela me gêne parce que j’ai
besoin de dormir après les dures journées passées au fond de la mine.
— Oh, Charles ! Tu crois que…?
— Je la convaincrai, tu verras. Je dormirai dans
ton ancien lit tout le temps qu’il faudra. Je serai patient pour te conquérir.
Soulagée pour toutes les nuits à venir, je ne me suis pas
rendu compte du sacrifice qu’il s’imposait. Il me sourit, et je n’ai pas su
comprendre, non plus, la tristesse infinie de son sourire.
Ainsi débuta notre mariage, sur des bases faussées. Ce n’était
pas un vrai mariage, mais à moi il convenait tout à fait. Je m’installai, peu à
peu, dans mon état de femme mariée sans l’être. Je m’occupais de la maison, du
ménage. Tous les jours, j’époussetais les meubles pour chasser le charbon qui s’infiltrait
partout. Tous les jours, je donnais un coup de serpillière au carrelage, et
tous les samedis je lavais à grande eau. Je repris l’habitude de laver des
vêtements de mineur. Je faisais la vaisselle, les courses, le ménage, la
lessive, les repas. Je m’occupais de Charles comme s’il avait été un père, ou
un frère. Je ne prenais pas garde au regard plein d’attente et d’espoir que
parfois il posait sur moi. Je vivais avec Charles au lieu de vivre avec ma mère,
et il n’y avait rien d’autre de changé.
Je m’habituais à notre nouvelle maison. Elle était située de
l’autre côté du coron, avec une vue sur la mine différente de celle que j’avais
toujours eue. Cela me changea un peu, au début, mais, là aussi, je m’habituai
vite. Par contre, nous n’étions pas loin du « mont d’cheines », comme
nous l’appelions, le tas de cendres que possédait chaque coron. À cette époque,
le service de ramassage des poubelles n’existait pas. La plupart des déchets et
les ordures ménagères étaient brûlés dans le poêle. Tous les matins il fallait,
avant de l’allumer, vider les cendres au bord de la chaussée. Le cantonnier des
mines venait les ramasser et les transportait sur le mont de cendres, en
attendant
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