La Poussière Des Corons
épaule, sanglotant désespérément, tandis qu’il me berçait doucement, avec
les paroles apaisantes que l’on emploie pour calmer le gros chagrin d’un enfant :
— Là… là… c’est tout, maintenant… Ne pleure plus…
Peu à peu, en effet, je me calmai. Des soupirs tremblés m’échappèrent
encore, puis, progressivement, mes sanglots cessèrent. Je demeurai là, tout
contre Charles, mon nez dans l’étoffe rugueuse de son veston, et je me sentais
bien. J’avais l’impression d’être protégée. Les nuées sombres qui me
harcelaient sans répit jusqu’ici semblaient s’éloigner.
— Ça va mieux ?
Je hochai la tête, sans quitter le refuge de son épaule.
— Pourquoi un si gros chagrin, Madeleine ? Tu
es malheureuse ? Dis-moi ce qu’il y a. Je ne supporte pas de te voir
pleurer.
Je ne sais toujours pas ce qui m’a poussée à parler. Dieu
sait que je ne voulais pas le dire, à personne. Mais là, j’ai éclaté, vaincue
par la bonté et la gentillesse de Charles. À bout de souffrance, la tête
enfouie dans son veston, je lui ai confié ma honte et mon tourment. Et cela me
faisait du bien de lui parler, car je sentais que lui, au moins, ne me jugerait
pas mal.
Lorsque je me tus, il savait tout. L’abandon d’Henri, et mon
inquiétude, et mon état de fille perdue et ma honte. Je ne m’étais pas trompée,
il n’eut pas un mot de reproche à mon égard. Il me serra davantage contre lui, et
je le vis serrer les poings :
— Le salaud, gronda-t-il, le salaud ! Avec
quel plaisir j’irais lui casser la figure !
Il y avait tant de haine dans sa voix que j’eus peur. Je me
redressai, le regardai :
— Oh, Charles, je t’en prie ! Ne fais pas d’imprudences !
— C’est pour lui, ou pour moi, que tu as peur ?
— Charles ! Pour toi, bien sûr ! Tu
serais renvoyé de la mine, tu le sais. Ne prends pas un tel risque pour moi…
Gravement, il me demanda :
— Madeleine, l’aimes-tu encore ?
Ma réponse jaillit, si vibrante de sincérité que je le vis
se détendre :
— Oh non ! Si tu savais comme je le méprise !
J’ajoutai, plus bas :
— Et comme je m’en veux…
Il me regarda, ouvrit la bouche pour parler, sembla hésiter,
et ne dit rien. Il remua un peu, et je l’entendis déglutir plusieurs fois. Intriguée,
je demandai :
— Charles, que se passe-t-il ?
Alors, d’un seul coup, il se décida :
— Madeleine… Tu sais, Madeleine, ce que je t’ai
dit, au printemps, c’est toujours valable, si tu le veux…
Devant mon geste de surprise, il continua bien vite :
— Je sais que tu ne m’aimes que comme un frère, mais,
pour moi, ça ne fait rien. Si tu veux, ton enfant aura un père, je dirai qu’il
est de moi.
Je ne réussis pas à empêcher ma voix de trembler en lui
répondant :
— Mais, Charles… Ce… ce n’est pas possible… Je ne
peux pas, plus maintenant… Tu mérites mieux que moi…
Il secoua la tête. Je vis dans ses yeux clairs, posés sur
moi, un tel amour, un tel désir de me convaincre que l’émotion me submergea de
nouveau :
— C’est toi que j’aime, Madeleine, toi seule. Je
t’aimerai quoi qu’il arrive. Et j’aimerai ton enfant, simplement parce qu’il me
viendra de toi.
Alors une houle se leva dans ma poitrine, envahit tout, monta
jusqu’à ma gorge. C’était un flot libérateur, qui emportait avec lui l’amertume
et la peur, pour ne laisser qu’un espoir pur et tout neuf.
Je regardai Charles, avec l’impression d’être éblouie :
— Charles ! Tu… Tu ferais ça, vraiment ?…
— Je t’aime tant, Madeleine ! Et… si tu ne l’aimes
plus, lui, je ne perds pas l’espoir, je sais qu’un jour tu m’aimeras.
Je n’ai pas voulu le détromper. Je savais que mon cœur était
mort. Je l’aimais comme un frère, comme un ami, et je ne pouvais faire plus. Mais,
si cela lui suffisait, c’était très bien ainsi. Maintenant s’ajoutait à ma
tendresse pour lui une immense, une éperdue gratitude. Je n’aurais pas trop de
toute ma vie pour le remercier.
— Madeleine ?… Tu acceptes ?
— Si tu le veux, oui, Charles…
Il me serra contre lui, avec emportement :
— Merci, Madeleine !
— Ne dis pas ça ! C’est moi qui dois te dire
merci, tu le sais bien.
Il mit un doigt sur mes lèvres :
— Tais-toi, nous n’en parlerons plus jamais. C’est
d’accord ?
C’est à cet instant précis que j’ai compris, pour la
première fois, à quel
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