La Poussière Des Corons
parlait quelquefois d’Henri, me disait qu’il avait
prolongé son séjour en Allemagne. Elle soupçonnait fort Gerda Von Gerhardt, la
fille du directeur, d’en être la cause. Il y avait longtemps que tout ce qui
concernait Henri ne me touchait plus. Je finissais même par oublier que mon
fils était le sien, je le considérais comme le vrai fils de Charles. Un jour
elle m’annonça qu’Henri avait épousé Gerda, en Allemagne :
— C’était à prévoir, Madeleine. Je m’en doutais
depuis longtemps. Il nous a écrit qu’il allait venir, avec sa femme. J’espère
qu’elle est bien. Tu te rends compte, une Allemande ! Alors qu’il pouvait
t’épouser, toi !
Cette année-là aussi, je me fis couper les cheveux. La mode
des cheveux courts faisait fureur. Je l’adoptai parce qu’elle était beaucoup
plus pratique. C’était une coiffure plus jeune que mon éternel chignon. Les
robes, également, changèrent, devinrent plus courtes, et s’arrêtaient au mollet
au lieu de descendre jusqu’à la cheville. Nous eûmes beaucoup de travail de
couture, ma mère et moi, car nombreuses furent les femmes qui se firent faire
une nouvelle robe.
Nous entendions parler de la téléphonie sans fil, des
premiers balbutiements de la radiodiffusion. Nous voyions de plus en plus, dans
les rues, des automobiles, qui continuaient à effrayer les chevaux. Le progrès
se mettait en marche.
Jean grandissait. Il découvrit Noël, les vœux de Nouvel An, il
connut la joie d’aller chercher, à Pâques, dans le jardin, les œufs colorés qu’y
avaient déposés les cloches. En voyant son émerveillement, je me rappelais ma
propre enfance et ma propre joie, et je me disais que, d’une génération à la
suivante, c’étaient les mêmes petits bonheurs qui se renouvelaient.
*
Les années passaient. Charles et moi étions de plus en plus
unis, chaque jour vécu ensemble nous rapprochait davantage. Il aimait Jean sans
restriction, et le petit l’adorait. Ils jouaient ensemble tous les deux, Charles
lui apprenait à jouer au ballon, il le promenait sur ses épaules. Il régnait
entre eux une complicité qui me ravissait.
La reconstruction des galeries se terminait. Il fallait
maintenant travailler dur pour produire beaucoup. Et la mine, une fois de plus,
intervint tragiquement dans ma vie, comme s’il lui était impossible de me
laisser vivre longtemps en paix.
C’était un matin du mois de mars, pendant l’année 1925. Le
printemps commençait de s’installer. Il était environ huit heures et, comme
chaque matin, nous étions occupées à nettoyer le ruisseau devant notre porte. Le
cantonnier avait ouvert la vanne, et l’une après l’autre, au fur et à mesure
que l’eau descendait la rue, nous lavions les pavés du ruisseau et poussions
les saletés qui étaient reprises par la voisine, et ainsi de suite jusqu’au
bout de la rue.
Nous étions toutes sur le devant de nos maisons et nous
affairions joyeusement dans le soleil matinal, pleines de courage et d’entrain.
C’est alors que la sirène a retenti. Je me suis immobilisée, et j’ai senti ma
peau se hérisser. Malgré la chaleur du soleil dans mon dos, j’ai frissonné. Nous
nous sommes toutes regardées. Dans les yeux des autres, j’ai vu l’angoisse que
je ressentais.
J’ai confié Jean à Anna, et, comme les autres, j’ai couru en
direction de la fosse. C’était l’affolement général, la panique. Nous courions
toutes en sachant qu’une catastrophe venait d’arriver, et le fait d’ignorer
laquelle rendait notre frayeur encore plus grande.
Nous nous sommes massées devant les grilles. Silencieuses, figées
par l’angoisse, nous avons attendu. Jeanne vint me rejoindre. Dans son visage
tendu, seuls les yeux vivaient, reflétant une telle peur, une telle anxiété, un
tel tourment, que j’eus mal pour elle. Elle, c’était pour son mari et ses trois
fils qu’elle tremblait, les quatre êtres aimés qui étaient toute sa vie, maintenant.
Certaines, des Polonaises surtout, avaient un chapelet entre les doigts et
priaient, tout bas, avec ferveur.
Quelques hommes apparurent. L’un d’eux vint vers la grille :
— Il y a eu un éboulement, dit-il brièvement. L’une
des galeries est bloquée. Nous ne savons rien de plus pour l’instant.
Nos questions se pressaient :
— Est-il important ? Y a-t-il des blessés ?
Des morts ?
— Nous n’en savons rien. On va aller voir. Ce n’est
peut-être pas grave…
Il partit, nous
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