La Poussière Des Corons
laissant dans le même état d’esprit. Nous
savions ce qui s’était passé, mais nous n’étions pas plus avancées. Un
éboulement, ça pouvait être grave. Si une galerie entière s’était effondrée, combien
de mineurs seraient enfouis dessous ?
Nous attendîmes longtemps, immobiles. Le silence n’était
troublé que par les murmures des prières que certaines, inlassables, récitaient.
Notre angoisse nous enveloppait.
Enfin, un remous survint. Les premières, contre la grille, annoncèrent :
— En voilà qui remontent !
Je tendis le cou pour voir. Des mineurs, en effet, traversaient
la cour vers nous. Je regardai avec avidité. Charles n’était pas parmi eux. Ils
sortirent, et leurs femmes se jetèrent frénétiquement sur eux, les palpant, s’assurant
qu’ils n’avaient rien, pleurant de soulagement, avec des sanglots bruyants.
Les autres, dont j’étais, reprirent leur attente. Elle fut
encore interminable. Et puis, de nouveau, un cri :
— En voilà encore !
Cette fois-ci, ils étaient plus nombreux. J’écarquillais
tellement les yeux qu’ils me faisaient mal. Il me sembla voir Charles, et j’eus
un vertige. Je n’osai y croire. Ma vue se brouilla de larmes. Je clignai des
yeux plusieurs fois, regardai de nouveau, avec un mélange de peur et d’espoir. Oui,
c’était bien lui qui s’avançait, au côté de Pierre avec Julien et Georges. De
soulagement, de gratitude, mon cœur sembla éclater. Il vint vers moi et j’allai
vers lui. Je me jetai dans ses bras, qu’il referma sur moi :
— Je suis là, Madeleine, je n’ai rien. Ne pleure
pas, c’est fini…
Je ne m’étais même pas rendu compte que je pleurais. Et
pourtant, les larmes ruisselaient sur mes joues, je ne pouvais plus les arrêter.
Je me libérais de la frayeur que j’avais ressentie, et j’éprouvais un tel
apaisement que j’en oubliais les autres. Charles était là, tout était bien. C’est
à cette peur que je mesurai l’intensité de mon amour.
— Viens, Madeleine, attendons encore. Je veux
savoir, pour mes autres camarades.
Je me mouchai, m’essuyai les yeux. Des sanglots tremblaient
encore dans ma voix lorsque je demandai :
— Charles, oh Charles… Que s’est-il passé ?
— Il y a eu un éboulement, dans l’une des
galeries. Ce n’était pas celle où nous étions, heureusement…
Jeanne vint vers nous, les yeux pleins de larmes. Elle serra
Charles dans ses bras. À mon tour, j’embrassai Pierre, Julien et Georges.
— Ils sont tous saufs, dit Jeanne, quel
soulagement !
Ensemble, nous avons attendu les autres remontées.
Des sauveteurs étaient allés dégager la galerie effondrée, et
nous apprîmes que l’éboulement ne s’était produit qu’à l’entrée et ne s’était
pas étendu. Trois des mineurs qui se trouvaient là avaient été blessés. Il n’y
avait pas de morts.
Les blessés furent amenés sur des brancards. Je les vis, couverts
de charbon et de sang. Leurs femmes pleuraient, torturées de les voir dans cet
état, mais soulagées quand même qu’ils fussent vivants.
Peu à peu, nous nous sommes dispersés, chacun rentra chez
soi. Je m’occupai de Charles, ce soir-là, avec une ferveur et un amour accrus. Le
fait d’avoir failli le perdre me le rendait plus précieux.
Une collecte fut organisée, dans le coron, à l’intention des
blessés. Tous les mineurs y participèrent, conscients que ce qui venait d’arriver
à leurs camarades pouvait, du jour au lendemain, leur arriver aussi. Ils
savaient que leur métier n’était qu’un duel continu avec la mort.
J’ai vécu, à partir de ce jour, avec la crainte permanente d’une
catastrophe. Chaque soir, quand Charles rentrait, j’étais heureuse et soulagée
qu’il fût là. Et chaque matin, quand il partait et m’embrassait, je chassais de
toutes mes forces la pensée qui me venait et qui me disait que son baiser était
peut-être le dernier.
*
Lorsque Jean eut six ans, il fut temps, pour lui, d’aller à
l’école. Je l’avais gardé avec moi le plus longtemps possible. Il n’avait pas
fréquenté la classe enfantine qui était une sorte de garderie pour les moins de
six ans. Il avait néanmoins beaucoup de compagnons de jeux, parmi les autres
enfants de la rue, et notamment les frères et sœurs d’Anna. Il apprenait d’eux
des mots de polonais ; bien souvent, pendant qu’il jouait, je l’entendais
parler polonais avec nos petits voisins.
Cette année-là, à la rentrée, le
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