La Poussière Des Corons
tu condamnes ton fils à être mineur toute sa vie, alors
qu’il peut faire de brillantes études.
— Mais je ne veux pas, justement, que cette
situation, il la doive à Henri. Je préfère le savoir mineur. Ce n’est pas
déshonorant, loin de là. Nous sommes une famille de mineurs. Jean suivra la
tradition, voilà tout.
— J’ai une autre idée, Madeleine. Si tu demandais
son avis, à Jean ?
Je secouai la tête :
— Non, je ne le ferai pas. Je ne veux pas le
mettre devant un tel choix. S’il accepte, j’aurai le cœur brisé. S’il refuse, j’aurais
toujours peur qu’un jour il n’en vienne à le regretter. Tandis que là il ne
saura pas qu’il pouvait choisir. Il s’attend à aller, comme ses camarades, à la
fosse dès le certificat d’études. Il est même déjà fier à l’idée de marcher sur
les traces de son père, de son grand-père.
— Oui, qu’il reste dans son milieu. Tu as raison,
Madeleine, n’en fais pas un étranger. Il a toujours vécu parmi nous, là est sa
vraie place.
Je fus heureuse de voir que l’avis de ma mère rejoignait le
mien. En moi s’ancrait une résolution farouche : je garderais mon fils, je
le refuserais à Henri.
Quelques jours plus tard, Juliette vint chez moi. Je me
doutais bien qu’elle me reprocherait mon attitude. Je ne me trompais pas.
— Henri m’a tout raconté. Comment peux-tu lui
refuser ? Ne refuse pas, Madeleine, pense à Jean.
— Et toi, tu ne penses pas qu’Henri exagère un
peu ? Après nous avoir ignorés pendant treize années, il se souvient
subitement qu’il a un fils !
— Justement ! Il regrette ce qu’il a fait. Ce
qu’il voudrait, c’est réparer, dans la mesure du possible. Il ne veut pas que
Jean subisse les conséquences de sa lâcheté d’autrefois.
— Jean est mon fils et celui de Charles. Henri n’a
rien à y voir.
Elle insista, longuement. Mais plus elle insistait et plus
je m’obstinais dans mon refus. À la fin, je lui dis :
— C’est Henri qui t’envoie, en espérant que tu me
feras changer d’avis ?
— Non, ce n’est pas lui. C’est moi, parce que je
pense à Jean. Et si je les lui payais, moi, ses études ?
— Oh non ! Je te soupçonnerais trop d’être
de mèche avec Henri. Laisse-moi, Juliette. Je n’interviens pas dans ta vie, et
je te demande de faire de même pour moi.
Elle se leva, à la fois triste et peinée :
— Bien, je ne t’en parlerai plus. J’espère
néanmoins que tu changeras d’avis…
Elle me quitta, un peu froidement. Cela m’était égal. Tout
ce que je voulais, c’était qu’on me laissât vivre en paix, entre mon mari et
mon fils.
2
UN jour de la semaine suivante, Charles rentra du travail
avec un œil à moitié fermé et une arcade sourcilière fendue. Je m’affolai :
— Mon Dieu, Charles ! Que s’est-il passé ?
— Ne t’inquiète pas, Madeleine. J’ai dû faire
taire Albert Darent, encore une fois. C’est un véritable poison. Je passais en
face de Chez Tiot Louis quand je l’ai entendu parler de toi. Je me suis approché. Il m’a interpellé, me
conseillant de mieux te surveiller. Il racontait à tous les autres que tu avais
des rendez-vous avec Henri Fontaine pendant que j’étais à la mine.
— Oh !
— Je n’ai pas pu supporter ses ricanements, ni
ses insinuations. Ça a été plus fort que moi. Je lui ai ordonné de retirer ce
qu’il venait de dire, et comme il refusait, nous nous sommes battus.
Une fois de plus, j’étais inquiète. Comme je payais cher
encore un instant d’égarement ! N’y aurait-il jamais de répit ? Je me
méfiais d’Albert Darent. Il était méchant, sournois. Je savais qu’il cherchait
à me nuire, depuis l’incident du sac de pissenlits de notre enfance. Il avait
la rancune tenace, et j’avais peur de lui.
Je pansai Charles. À Jean qui s’inquiétait de l’état de son
père, Charles expliqua qu’il s’était cogné, au fond, contre une berline. Le
petit accepta cette explication sans discuter, et devant sa confiance j’eus
honte. Si Charles s’était battu, cette fois encore, c’était de ma faute. Quand
donc tout cela allait-il finir ?
Anna, le lendemain, raviva mes craintes. Georges lui avait
raconté l’incident et le combat entre Charles et Albert, auquel il avait
assisté. Après la bataille, Albert Darent s’était relevé. Georges avait entendu
qu’il disait, avec un regard haineux pour Charles :
— Je me vengerai !
Anna essaya de me
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