La Poussière Des Corons
n’irais
pas. En ne me voyant pas le lendemain, Henri comprendrait que je désirais qu’il
me laissât en paix.
Quand Charles revint, je ne lui parlai de rien. J’avais
décidé de répondre à la demande d’Henri par le silence et le mépris. Il était
inutile que Charles fût tourmenté avec ce problème. Il avait déjà bien assez d’ennuis
à la mine ces temps-ci, avec les amendes et les menaces de déclassement qui
pleuvaient.
Je ne dis donc rien, mais, cette nuit-là, je ne dormis pas.
Je compris que je n’aurais pas de paix tant que je ne
saurais pas ce qu’Henri voulait. Alors je décidai que j’irais, le lendemain, le
retrouver devant le portail de la maison de Juliette.
Ce fut les mains moites et le cœur battant d’appréhension
que j’allai au rendez-vous d’Henri. De loin, je le vis. Il était appuyé au
portail, et m’attendait en fumant une cigarette. Cela me rappela la période où
j’avais été amoureuse de lui, et j’éprouvai de l’amertume en pensant combien j’avais
été une proie facile, naïve comme je l’étais. Mais maintenant il n’en était
plus de même. J’étais beaucoup plus lucide, je savais ce qu’il valait, et, surtout,
je ne l’aimais plus.
Il me vit approcher, jeta sa cigarette. Je m’arrêtai à
quelques pas de lui, le détaillant froidement. Il avait vieilli, mais n’en
était pas moins beau. À l’approche de la quarantaine, de fines rides burinaient
son visage, et des cheveux gris argentaient ses tempes. Il me regardait, lui
aussi, et je découvris dans son regard une sorte d’inquiétude qui me fit
soupirer de soulagement. J’avais eu peur de le trouver arrogant, sûr de lui ;
au contraire, je découvrais qu’il était mal à l’aise et semblait embarrassé. Cela
me donna du courage pour attaquer. Je fus heureuse d’entendre que ma voix ne
tremblait pas lorsque je dis, avec une sorte de brutalité :
— Voilà, je suis venue. Alors, qu’y a-t-il ?
D’une voix douce, presque humble, il répondit :
— Bonjour, Madeleine. Je te remercie d’être venue.
Je dois te parler, c’est important…
J’attendais, droite, raide, figée, sans un mot. Il sourit, d’un
sourire infiniment triste, et fit un geste d’impuissance :
— Tu ne m’aides pas beaucoup, avec ton attitude
de juge. Je te demande, néanmoins, de m’écouter, sinon avec indulgence, du
moins objectivement. Je sais bien que cela ne te sera pas facile ; j’ai
mal agi envers toi, et tu as tout à fait le droit de m’en vouloir. Je ne l’ai
pas compris alors, je le comprends maintenant. Il aura fallu toutes ces années,
tous ces espoirs déçus…
Il se tut, baissa la tête. Il parut, un moment, plongé dans
ses pensées. J’attendais, toujours digne, sans un geste. Alors il me regarda, et,
une supplication dans les yeux, se mit à parler :
— Depuis que j’ai vu Jean, je ne vis plus. Le :
simple fait de le voir m’a été une révélation. J’ai compris ce que j’avais
perdu, en te repoussant, autrefois. Si je pouvais revenir en arrière, combien
mon attitude serait différente ! C’est affreux, Madeleine, d’être
conscient d’avoir, par ma faute, perdu mon propre fils… Et de me dire que je n’en
aurai pas d’autre, maintenant que Gerda…
De nouveau, il se tut. Je refusai de me laisser attendrir. Froidement,
je répondis :
— C’est pour me dire cela que tu m’as fait venir ?
Il releva la tête :
— Non, pas pour cela. Je sais bien que Jean est
ton fils, et c’est toi uniquement qui décideras. Voilà ce que je veux te
demander : Juliette m’a dit que Jean travaille bien à l’école, qu’il est
intelligent, qu’il aime étudier. Envisages-tu de le laisser continuer, ou
vas-tu lui faire quitter l’école pour la mine ?
J’eus un sursaut de révolte :
— Cela ne te regarde pas. Tu n’as pas à décider
de la carrière de mon fils. Si tu voulais t’en occuper toi-même, il fallait y
réfléchir avant.
— Je le sais bien, Madeleine. Mais c’est pour
Jean ? que je parle. S’il est doué pour les études, ne penses-tu pas que c’est
un crime de l’envoyer travailler au fond de la mine ?
En moi-même, je reconnus que ce qu’il disait était vrai. L’instituteur
de Jean m’avait dit pratiquement la même chose. Néanmoins, devant Henri, je
refusai d’en convenir. Je dis, simplement :
— Jean a encore une année scolaire à faire. Ensuite,
quand il aura quatorze ans, nous verrons.
— Va-t-il
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