La Prison d'Édimbourg
incident m’a causé de nouvelles alarmes. Je rencontre souvent votre D. d’A., et il me voit rarement sans me parler d’E. D., de J. D., de R. B., et de D. D., comme de personnes auxquelles mon aimable sensibilité s’est intéressée. Mon aimable sensibilité ! et ce ton de légèreté avec lequel les gens du grand monde parlent des choses les plus touchantes !… Entendre parler de mes fautes, de mes folies, des faiblesses de mes amis, même de votre résolution héroïque, Jeanie, avec cet air d’insouciance qui est à la mode aujourd’hui ! À peine tout ce que j’ai souffert peut-il se comparer à cet état d’irritation continuelle ! Alors je n’avais à craindre qu’un seul coup, maintenant il faut mourir à coups d’épingles.
» Il (je veux dire le D.) doit partir le mois prochain pour l’Écosse, et y passer la saison des chasses. Il m’a dit qu’à tous ses voyages il ne manque jamais de dîner une fois à la manse. Soyez bien sur vos gardes, et ne vous trahissez pas s’il venait à parler de moi. Hélas ! vous ne pouvez pas vous trahir, vous n’avez rien à craindre. C’est votre E. dont la vie est encore une fois entre vos mains, c’est cette E. qu’il ne faut pas que vous laissiez dépouiller des fausses plumes dont on l’a parée, et peut-être par celui-là même qui a été la cause première de son élévation.
» Vous recevrez deux fois par an la valeur du billet ci-inclus. Ne me refusez pas, Jeanie ; c’est mon superflu, et je pourrais au besoin vous en envoyer le double : cet argent peut vous servir, à moi il m’est inutile.
» Ne tardez pas à m’écrire, Jeanie, ou je serais dans de mortelles appréhensions que ma lettre ne fût tombée en des mains étrangères. Adressez-moi votre réponse à L. S., sous l’enveloppe du révérend Georges Whiterose, dans Minster-Close, à York : M. Whiterose croit que je corresponds avec un de mes nobles parens jacobites en Écosse. Comme le feu du zèle épiscopal et sa politique enflammerait ses joues, s’il savait qu’il est l’agent non d’Euphémie Setoun de l’illustre famille de Winton, mais d’E. D., fille d’un marchand de bestiaux cameronien ! – Je puis encore rire quelquefois, Jeanie ; mais que le ciel vous préserve de jamais rire ainsi ! – Mon père (c’est-à-dire votre père) dirait que c’est le bruit de quelques branches d’épines, – qu’on jette au feu, mais qui n’en conservent pas moins tous leurs piquans.
» Adieu, ma chère Jeanie ; – ne montrez cette lettre à personne, pas même à M. Butler, à lui moins qu’à tout autre. – Je suis pleine de respect pour lui, mais ses principes sont trop rigoureux, et mes blessures exigent une main bien douce. Je suis votre affectionnée sœur, E. »
Il y avait dans cette longue lettre de quoi surprendre et de quoi chagriner mistress Butler. Qu’Effie, que sa sœur Effie vécût dans le grand monde, et en apparence sur un pied d’égalité avec le duc d’Argyle, lui semblait une chose si extraordinaire qu’elle ne pouvait croire qu’elle eût bien lu. Il n’était pas moins merveilleux qu’elle eût fait tant de progrès en quatre ou cinq ans. L’humilité de Jeanie reconnaissait sans peine qu’Effie avait toujours eu plus de dispositions qu’elle ; mais elle avait aussi été moins appliquée, et par conséquent elle avait moins profité du peu qu’on avait cherché à leur apprendre. Il paraissait pourtant que l’amour, la crainte ou la nécessité avaient été pour elle d’excellens maîtres, et qu’elle en avait parfaitement profité.
Ce qui plaisait le moins à Jeanie dans cette lettre, c’est qu’elle lui paraissait principalement dictée par un esprit d’égoïsme. Je n’en aurais pas entendu parler, pensa-t-elle, si elle n’avait craint que le duc n’apprît ici qui elle est, et quelle est sa parenté. Je n’ai pas envie de garder son argent, ajouta-t-elle en ramassant un billet de banque de cinquante livres sterling qui était tombé de la lettre ; je n’en manque point, et il semblerait qu’elle a voulu acheter mon silence : elle doit bien savoir que pour tout l’or de Londres je ne voudrais rien dire à son préjudice. Il faut que j’en parle au ministre. Elle a beau craindre son mari, ne dois-je pas autant de respect et de confiance au mien ? Oui, je lui en parlerai demain, dès que le capitaine sera parti. – Mais qu’est-ce donc qui se passe dans mon esprit ? dit-elle après avoir
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