La Prophétie des papes
sizars . Marlowe était plein dâentrain et il commanda des bouteilles supplémentaires pour sa table. Il nâavait guère les moyens de se les offrir, mais son serviteur, un jeune homme de première année, nota soigneusement la somme dans les comptes de Marlowe en vue de règlements ultérieurs.
« Jâimagine que vous pouvez tous boire quelques lampées supplémentaires, mais la part du lion est pour maître Marlowe, annonça Marlowe à sa tablée.
â Ãa sonne bien, vous ne trouvez pas ? Maître Marlowe ! sâexclama son ami Lewgar. Demain à cette heure-ci, jâespère avoir moi aussi réussi mon examen et reçu mon diplôme. Jâen ai la chair de poule, rien que de penser à ce que deviendrait mon vieux si je rentrais à Norfolk sans diplôme. »
Lewgar avait des boutons sur son visage glabre et il restait bien en chair alors que la plupart de ses collègues étaient maigres comme des clous. Bien que Marlowe soit notoirement intempérant et enclin à pilonner ses collègues de ses sarcasmes narquois et cinglants, il épargnait Lewgar qui passait son temps à se dénigrer.
De lâautre côté de la table, un étudiant de deux ans plus âgé que Marlowe, un jeune homme sérieux qui finissait son second cycle, prit la parole :
« Pas mal, ta prestation aujourdâhui, Marlowe. Presque aussi impressionnante que celle que jâavais donnée à lâépoque. »
Marlowe leva son gobelet dans sa direction. Bien quâil lâait vu presque tous les jours ces quatre dernières années, il pouvait dire honnêtement quâil connaissait à peine Robert Cecil, et, en fait, Cecil était lâun des rares hommes à Cambridge qui lâintimidaient. Oui, bien sûr, son père était le baron Burghley, le secrétaire dâÃtat de la reine, de fait, lâhomme le plus puissant dans un pays qui nâavait pas de roi. Mais il nây avait pas que cela, Cecil était fort comme un bÅuf, aussi intelligent que nâimporte lequel des boursiers du collège Nicholas Bacon et aussi confiant dans ses propres compétences que Marlowe.
Mais Marlowe damait le pion à Cecil dans un domaine apprécié par tous et il éprouva une reconnaissance quelque peu émoustillée lorsque Cecil lui demanda de faire une démonstration.
« Allez, maître Marlowe, faites-nous lâhonneur de quelques-uns de vos vers sur cet événement, à lâoccasion de votre promotion. »
Marlowe se leva et sâappuya dâune main sur la table.
« Maître Cecil, je nâai que quelques vers dâune petite Åuvre en cours dâachèvement, ma première pièce.
â Vous tâtez donc du théâtre ? demanda Cecil.
â Moi qui partage sa couche, sâécria Lewgar dans un rugissement de rires, je peux attester quâil tâte toute la nuit !
â Allez, silence ! ordonna Cecil à la tablée. Entendons ce que notre homme a écrit et, si cela ne nous sied pas, jâenverrai un petit oiseau à la cour pour informer Notre Majesté que ses écoles tombent en ruine. »
Marlowe leva les bras dans un geste très mélodramatique, attendant son moment, et, lorsque tous les yeux furent posés sur lui, il commença :
Â
Comment, ami, pourrais-je oublier ta jeunesse,
Dont la face reflète à mes yeux le plaisir,
Au point que, captivé par les rayons de feu,
Jâai souvent repoussé les chevaux de la Nuit,
Sâils devaient le dérober à ma vue ?
Reste sur mes genoux et condamne à ta guise,
Asservis le Destin, coupe le fil du Temps.
Est-ce que tu nâas pas tous les dieux à tes ordres,
Lâunivers comme espace ouvert à tes désirs 2 .
Â
Il sourit, avala ce qui restait de son vin et se rassit, avant dâappeler un sizar dâun geste de la main.
Les convives attendaient que Cecil se prononce.
« Assez bien, maître Marlowe, dit-il, assez bien. Mon petit oiseau devra rester dans sa cage et oublier son voyage à Londres. Qui prononce ces vers et quel titre donnerez-vous à votre pièce ?
â Ce sont les paroles de Jupiter ! sâexclama Marlowe. Et jâappelle la pièce Didon, reine de Carthage .
â Eh bien, Marlowe, si, dâici trois ans, vous entrez dans les ordres, le
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