La Prophétie des papes
astres, mais il pensait quâaucun de ses prédécesseurs nâavait eu une aussi belle occasion. Quel désastre, quelle catastrophe, si le ciel avait été couvert.
Il lui fallait voir la Lune de ses propres yeux !
Et au moment précis où il devait compter les étoiles !
Les éclipses totales de Lune étaient assez rares et celle de ce soir était incomparable.
Cette nuit, la Lune était en Poissons, la constellation sacrée.
Et elle venait de boucler son cycle de dix-neuf ans, pour replonger sous la pointe sud de lâellipse solaire, le point dâadversité maximale, la Queue du Dragon, comme lâappelaient les astrologues.
Cette convergence dâévénements célestes ne sâétait peut-être jamais produite auparavant et ne se reproduirait peut-être jamais ! Câétait une nuit dâimportance, pleine de gloire. Câétait une nuit pendant laquelle un homme comme Malachie pouvait énoncer une prophétie dâune grande puissance.
Maintenant, tout ce qui lui restait à faire, câétait attendre.
Il faudrait presque une heure pour que la Lune dorée disparaisse dans les ténèbres, son disque grignoté progressivement par un géant invisible.
Lorsque ce moment viendrait, il faudrait que Malachie soit prêt, que son esprit ne soit aucunement distrait. Sa vessie lui faisait un peu mal. Il remonta son habit et se soulagea, regardant, amusé, son urine couler le long du toit avant de tomber dans le jardin du pape. Dommage que ce porc ne soit pas là , la tête levée, la bouche ouverte.
Lâéclipse progressa jusquâau quart, puis à la moitié, puis aux trois quarts. Il sentait à peine le froid de la nuit. Lorsque la dernière lueur de la Lune disparut, une pénombre soudaine sâinstalla, épaisse et dâune chaude couleur ambrée. Câest alors que Malachie vit ce quâil attendait. Des étoiles scintillaient dans la pénombre. Elles nâétaient ni rares ni nombreuses.
Il aurait le temps de les compter et de vérifier leur nombre avant que la Lune réapparaisse.
Dix.
Cinquante.
Quatre-vingts.
Cent.
Cent douze.
Il se concentra le plus possible et répéta lâexercice.
Oui, cent douze.
Lâéclipse commença son évolution inverse et la pénombre disparut.
Malachie redescendit à pas hésitants et prudents jusquâà la porte, reprit lâescalier et refit le parcours jusquâà sa chambre. Il ne devait pas perdre un instant.
Il alluma une grosse bougie, plongea une plume dans un encrier et se mit à écrire aussi vite quâil le pouvait. Il travaillerait toute la nuit, jusquâà lâaube. Il avait une vision claire, aussi claire que les étoiles scintillantes gravées dans son esprit.
Ici, dans le palais du Latran, ici, à Rome, ici, dans le sein de la chrétienté, le domaine de son grand ennemi, de lâennemi de son peuple, Malachie eut une vision lucide et certaine de ce qui adviendrait.
Il y aurait cent douze autres papes : cent douze jusquâà la fin de lâÃglise. Et la fin du monde tel quâils le connaissaient.
1
R OME, EN LâAN 2000
« Q ue veut K ? » demanda lâhomme.
Il était assis et ses doigts boudinés tambourinaient nerveusement sur les accoudoirs en bois de son fauteuil. Bien quâil nây ait plus personne au bout du fil, lâautre homme tenait toujours le combiné. Il le reposa sur son socle et attendit quâun bus municipal passe sous leur fenêtre ouverte et que le grondement de son moteur sâatténue.
« Il veut quâon la tue.
â Eh, bien, on va la tuer. Nous savons où elle habite. Nous savons où elle travaille.
â Il veut quâon le fasse ce soir. »
Lâhomme assis alluma une cigarette avec un briquet en or. Il portait une inscription gravée : à ALDO, DE LA PART DE K .
« Je préfère quand on a plus de temps pour sâorganiser.
â Bien sûr. Moi aussi.
â Je ne tâai pas entendu protester.
â Ce nâétait pas un de ses hommes. Câétait K en personne ! »
Lâhomme assis se pencha en avant sous lâeffet de la surprise et laissa échapper une bouffée de fumée dont les volutes allèrent se mêler aux effluves dâessence.
« Câest lui qui
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