La Prophétie des papes
Six jours par semaine, lever à cinq heures du matin pour le service. Puis petit déjeuner et cours de logique et de philosophie. Déjeuner à onze heures, rien dâautre quâun peu de viande, du pain et du bouillon, suivi des cours de grec et de rhétorique. Ensuite, tout lâaprès-midi, avec le ventre qui criait famine, lâétude des techniques du débat et de la discussion dialectique : de vraies escarmouches intellectuelles pour entraîner les jeunes esprits. Le souper nâétait guère moins frugal que le déjeuner, puis étude jusquâà neuf heures â le moment où tout le monde terminait sa journée, sauf lui. Pendant que ses compagnons dormaient, il sâinstallait dans le coin le plus reculé de la pièce et sâadonnait à lâécriture de sa précieuse poésie pendant une heure ou deux. Les dimanches étaient à peine plus agréables.
Seul, il fit les cent pas sur le plancher poussiéreux devant la salle de conférences, vêtu de sa simple toge noire. à travers les portes closes, il entendait les bruits que faisait lâassistance qui sâinstallait au balcon. Quelques-uns le soutiendraient, mais la plupart nâétaient quâune bande dâêtres méprisants qui prendraient plus de plaisir à le voir échouer.
Sâil réussissait, on lui attribuerait son diplôme de premier cycle et il serait automatiquement admis en second cycle. à partir de là , Londres lui appartiendrait. Lâéchec signifierait un retour déshonorant à Canterbury et à une vie sans éclat.
Il serra les poings et rassembla toute son énergie.
Mon destin est dâêtre un grand homme. Mon destin est dâécraser sous mes semelles leurs petits esprits et leurs crânes comme des coquilles dâÅufs.
Norgate, le directeur de Benet College, un homme grand et maigre, ouvrit les portes et annonça :
« Christopher Marlowe, nous sommes prêts à vous entendre. »
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Quatre années auparavant, Marlowe avait fait la route de Canterbury à Cambridge, un voyage de soixante-dix miles et trois jours à supplier les charretiers de lâemmener, à supporter, assis au milieu des navets, le bavardage de ces paysans. Un marchand lâavait laissé aux abords de la ville et il avait parcouru le dernier mile à pied, son sac sur le dos. Les passants le remarquèrent à peine lorsquâil franchit la porte Trumpington, un jeune homme parmi tant dâautres qui venaient à lâuniversité suivre les cours du semestre de décembre.
Le garçon de seize ans dut demander son chemin. Dans une ruelle à côté dâune taverne, il vit un homme en train dâuriner.
« Comment va-t-on à Benet College ? » demanda Marlowe à lâhomme, dâune voix forte. Pas de « Sâil vous plaît, monsieur », ni de « Auriez-vous lâobligeance de ». Ce nâétait pas sa façon de faire.
Lâhomme avait tourné la tête et ses sourcils froncés indiquaient quâil avait bien envie de jeter le jeune homme dans la boue pour lui faire payer son impudence⦠dès quâil aurait rangé son membre. Mais il changea dâavis après avoir examiné le jeune homme des pieds à la tête. Peut-être était-ce les yeux noirs, au regard dur, de Marlowe, ou ses lèvres pincées sans la moindre trace dâhumour, ou lâétrange gravité de sa barbe naissante ou la manière hautaine avec laquelle il déplaçait sa fine ossature, mais lâhomme céda avec humilité et fournit lâinformation que le jeune homme demandait.
« Traverse Pennyfarthing Lane, passe devant lâéglise Saint-Botolph, tourne à droite dans Benet Street, jusque dans la cour. »
Marlowe avait remercié dâun signe de tête et était rapidement arrivé à destination, à lâendroit où il vivrait pendant les six années et demie suivantes.
Il avait obtenu son statut dâétudiant à la Kingâs School de Canterbury grâce à ses prouesses dignes de tous les éloges. Ce premier jour à Cambridge, il avait été le dernier de sa chambrée à arriver dans la pièce qui leur avait été attribuée au coin nord-est de la cour. Les autres étudiants boursiers, Robert Thexton, Thomas Lewgar et
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