La Prophétie des papes
monde perdra certainement un éminent dramaturge. »
Les derniers à quitter la table furent Marlowe, Cecil et Lewgar. Il faisait de plus en plus sombre et Lewgar se mit à se plaindre et déclara quâil devait se coucher de bonne heure.
« Jâai entendu dire que les professeurs nâétaient pas bien disposés à votre égard, Lewgar, dit Cecil méchamment.
â Vous avez entendu ça ? demanda Lewgar, dâune voix craintive.
â Oui, effectivement.
â Je ne dois pas échouer. Ce serait la fin de ma vie.
â Si tu te jettes dans la Cam, Thomas, jâécrirai un poème sur toi, dit Marlowe.
â Je mâen sortirai, si on ne me donne pas un sujet concernant les mathématiques. Tu sais à quel point je suis mauvais en mathématiques, nâest-ce pas, Christopher ?
â à ta place, je ne mâinquiéterais pas. Demain soir, tu seras aussi saoul que moi. Nous ferons la fête. »
Lorsque Lewgar fut parti à pas lourds, Cecil se leva et donna à Marlowe une grande tape dans le dos.
« Le vieux Norgate vous en informera au petit déjeuner, mais vous serez lâun des contradicteurs de Lewgar demain. Et moi aussi. »
Marlowe leva des yeux interrogateurs.
« Vraiment ? Câest tout à fait intéressant. »
Son sizar vint débarrasser ce qui restait sur la table, mais Marlowe lâenvoya chercher encore du vin et lui ordonna dâallumer les bougies. Le garçon obtempéra. Marlowe fixa la flamme vacillante et laissa sa tête lourde de vapeurs dâalcool tomber, le menton sur la poitrine. Le chandelier, un simple tube en étain, retenait son attention. Il lâavait vu tous les jours pendant quatre ans, mais ce soir, il lui rappelait quelque chose. Il ressemblait beaucoup à un chandelier quâil avait vu quelque treize ans auparavant.
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Son père était toujours en colère, toujours à marmonner des invectives en travaillant. Christopher, âgé de sept ans, restait au coin du feu, à gribouiller frénétiquement sur une page barrée, un peu roussie, du livre de comptes de son père, que sa mère avait réussi à sauver du feu.
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Le soleil brille,
Les oiseaux chantent,
Et voilà lâoiseau bleu
Qui déploie ses ailes.
Â
Content de lui, il leva les yeux et aperçut une femme, debout sur le seuil, en train de se plaindre dâun travail que John Marlowe avait effectué. Câétait lâépouse du boulanger, Mary Plessington. La couture sâétait déjà défaite sur une chaussure quâil venait de réparer.
Son père prit les chaussures sans rien dire et, dès que la femme fut partie, il se répandit en injures.
« Vilaine mégère. Elle a très probablement défait les points en enfonçant son pied dans le cul de son mari. Câest une sale réfractaire, de toute manière. Je ne devrais même pas lâaccepter comme cliente. »
Sa mère, Katherine, interrompit sa couture et leva la tête.
« Ordure de papiste. Mâdonne envie de cracher sur mon propre plancher. »
La pièce principale de leur maison faisant office de cordonnerie. Son père restait à son établi toute la journée, à écorcher, à perforer les peaux et à se plaindre. Les Marlowe méritaient mieux, ne cessait-il de répéter. Câétait une bonne chose quâil se soit élevé au rang de citoyen dâhonneur et quâil ait pu rejoindre la guilde des cordonniers avec tous les privilèges que cela impliquait. Mais il était toujours sur un des premiers barreaux de lâéchelle de la classe moyenne et il ne parvenait pas à contrôler son mépris pour lâaristocratie et tous ceux qui sâen sortaient mieux que lui.
« Katherine ! sâécria-t-il. Vois comme notre jeune Christopher progresse dans ses apprentissages. Avec des études, il deviendra lâun dâeux, ou du moins, câest ce quâils penseront. Ensuite, il les dépassera et occupera la place légitime pour un Marlowe au sommet de lâéchelle. »
Christopher était le seul fils depuis la mort de sa grande sÅur, des suites dâune fièvre. Il allait à lâécole Saint-George-le-Martyr dirigée par le prêtre de la paroisse, le père Sweeting. Il avait rapidement appris
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