La Prophétie des papes
Christopher Pashley, tous pauvres comme Job, et comme lui, avaient déjà rangé leurs maigres effets et sâétaient chicanés sur les quelques meubles qui se trouvaient dans la pièce : deux lits, deux chaises, une table et trois tabourets, des pots de chambre et des cuvettes. Ils avaient cessé de se disputer pour prendre la mesure du retardataire, ce jeune homme maigre et maussade.
Marlowe ne sâétait pas embarrassé dâamabilités. Son regard malveillant avait fait le tour de la pièce comme celui dâun animal sauvage scrutant une partie de son territoire.
« Je mâappelle Marlowe. Où est mon lit ? »
Lewgar, un garçon replet avec un visage couvert de boutons, avait désigné un matelas et dit :
« Tu vas dormir avec moi. Jâespère que tu garderas ton haut-de-chausses pour dormir, mister Marlowe. »
Marlowe avait jeté son sac sur le matelas et il parvint à esquisser le premier sourire depuis des jours, un vague rictus sardonique.
« De cela, mon ami, tu peux être certain. »
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Marlowe se tint devant ses examinateurs, le menton en avant et les bras pendant tranquillement le long de ses flancs. En quatre ans, il avait pris une bonne trentaine de centimètres en taille et toute trace dâenfance avait disparu. Sa barbe et sa moustache étaient plus épaisses et encadraient son long visage triangulaire, lui donnant un air canaille. Ses cheveux dâun marron soyeux effleuraient à peine sa collerette empesée. Alors que la plupart de ses contemporains commençaient à développer le nez bulbeux et les mâchoires prognathes qui marqueraient leurs années ultérieures, les traits de Marlowe étaient restés délicats, presque enfantins, et il affichait son charme avec un air hautain.
Aux côtés du directeur du collège se trouvaient trois étudiants plus âgés de second cycle, qui avaient tous la posture de sadiques sâapprêtant à embrocher leur proie. Une fois que le thème du débat fut donné, Marlowe les affronterait dans une joute verbale pendant quatre heures épuisantes et, avant le souper, son sort serait connu.
Quelquâun dans lâassistance sâéclaircit la voix avec insistance. Marlowe se retourna. Câétait son ami, Thomas Lewgar, qui subirait la même épreuve le jour suivant. Lewgar lui adressa un clin dâÅil encourageant. Marlowe sourit et se tourna face à ses contradicteurs.
« Alors, mister Marlowe, commença le directeur. Voici le dernier thème de débat pour votre diplôme. Nous souhaitons que vous traitiez le sujet suivant et que vous commenciez sans tarder : âSelon la loi de Dieu, le bien et le mal sont diamétralement opposés.â Allez-y. »
Marlowe put à peine cacher son plaisir. Les coins de sa bouche se relevèrent, imperceptiblement, mais assez pour perturber ses inquisiteurs.
Lâaffaire est dan s le sac. Le diplôme mâest acquis.
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Dans la salle à manger, les cent vingt membres de la faculté et étudiants de Benet College sâasseyaient habituellement avec leurs pairs. Les fenêtres à petits carreaux sales laissaient passer un peu de la lumière du crépuscule, mais comme on était au printemps, les sizars 1 pouvaient encore attendre avant dâallumer les bougies.
Au fond de la salle, le directeur et les professeurs étaient assis à la table dâhonneur sur une estrade surélevée. Les quatre lecteurs de la bible, qui détenaient les bourses les plus prestigieuses dotées des indemnités les plus élevées, étaient installés juste en dessous du directeur. Les six boursiers du collège Nicholas Bacon venaient ensuite. Marlowe était à la table adjacente avec ses compagnons et les autres étudiants. Les élèves non boursiers, tous issus de familles privilégiées, occupaient les tables dans le reste de la salle. Contrairement aux autres, ils payaient leur nourriture et les autres frais. Leur intérêt pour la vie universitaire était généralement marginal ; leurs principales occupations consistaient à boire, jouer au jeu de paume et recevoir un minimum de formation leur permettant, une fois rentrés dans leurs manoirs, dâoccuper des postes de juges de paix. Autour des étudiants sâaffairaient leurs serviteurs, les
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