La Prophétie des papes
à lire dans le manuel ABC and Catechism et, du jour où les pages imprimées avaient commencé à avoir du sens pour lui, des vers et des rimes avaient commencé à surgir dans sa tête, exigeant quâil les transcrive. Ils constituaient un contrepoint joyeux aux autres pensées qui bouillonnaient dans son esprit, des pensées noires qui lâeffrayaient lorsquâil était plus jeune.
« Sommes-nous différents ? se rappelait-il avoir demandé à sa mère lorsquâil avait cinq ans.
â Oui.
â Est-ce Dieu qui nous a faits ainsi ?
â Cela nâa rien à voir avec Dieu.
â Parfois, ça me fait peur.
â Tes peurs sâen iront, le rassurait sa mère. Lorsque tu auras un peu grandi, tu seras heureux dâêtre différent, crois-moi. »
Elle avait raison. La peur avait bientôt disparu et avait été remplacée par quelque chose de merveilleux, finalement, un sentiment de supériorité et de puissance. à lââge de sept ans, il aimait sincèrement ce quâil était et ce quâil était en train de devenir.
Le fils du boulanger, Martin Plessington, était dans sa classe. Thomas Plessington était un des marchands les plus en vue de Canterbury, un protestant aisé qui avait cinq apprentis et deux fours. Martin était un garçon à lâossature massive et il promettait de devenir un géant, comme son père. à lâécole, il avait lâesprit lent, mais dans la rue, câétait une brute tyrannique dont la suprématie était fondée sur ses muscles.
Un jour, Christopher fut parmi les derniers à quitter lâécole, réticent, comme toujours, à abandonner un des livres du père Sweeting. Sur le chemin du retour, il prit le raccourci habituel derrière la taverne The Queenâs Head et les écuries de louage.
à sa grande surprise, il vit les grosses jambes de Martin Plessington sortir dâune fenêtre de la maison du maître des écuries. Martin se laissa tomber sur le sol. Il tenait quelque chose entre ses mains. Son regard croisa celui de Christopher.
« Fous le camp ! siffla Martin.
â Quâest-ce que tu as ? demanda Christopher sans se laisser démonter.
â Pas tes oignons. »
Christopher sâapprocha et le vit. Câétait un bougeoir en étain décoré dâune croix catholique pleine dâornements.
« Tu lâas volé ?
â Tu veux que je te rosse ? » lui répondit lâautre, fâché.
Christopher ne recula point.
« Jâimagine que tu veux le vendre. à moins que ta famille ne soit un ramassis de papistes clandestins qui ont lâintention de sâen servir lors dâune messe illégale.
â Qui câest que tu traites de papiste ? dit Martin, le visage de plus en plus rouge. Les Marlowe méritent même pas de torcher le cul dâun Plessington.
â Ãcoute-moi bien, dit Christopher sans broncher. Si tu me le montres, je te jure que je ne dirai à personne ce que tu as fait.
â Pourquoi tu veux le voir ? demanda le garçon dâun air suspicieux.
â Parce quâil est beau, câest tout. »
Martin réfléchit, puis lui tendit le bougeoir. Il avait un pied lourd et rond, qui pesait autant quâune paire de briques. Christopher lâexamina attentivement, puis inspecta la ruelle dans les deux sens.
« Est-ce que tu as remarqué ça ? fit-il.
â Quoi ? répondit Martin en sâapprochant.
â Ãa. »
Christopher leva le bougeoir avec toute la force que lui permettait sa petite constitution. Le pied du bougeoir vint sâécraser contre la tempe de Martin. Il y eut un craquement significatif qui rappelait le bruit dâune botte qui traverse une couche de glace, puis le garçon tomba à genoux et plongea vers lâavant ; le sang coulait à flots de la blessure de Martin qui bougea encore quelques secondes, puis sâimmobilisa.
Christopher fourra le bougeoir ensanglanté dans sa chemise et se mit à traîner le corps sans vie vers les écuries. Câétait plus difficile quâil ne lâavait prévu, mais il ne renonça pas tant que le cadavre de Martin ne fut pas complètement à lâintérieur. Les chevaux attachés frémirent, hennirent et tirèrent sur leurs
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