La Régente noire
le visage fermé, quitter la pièce d’un pas résolu. Son teint soudain écarlate avait fait ressortir la balafre qui, du sommet du front à l’oreille droite, lui rappellerait à vie sa dette envers son demi-frère.
L’assistance affecta l’indifférence ; et le conteur, imperturbable, put achever sa narration. Dès qu’il eut fini, cependant, il interrogea sa plus jeune sœur à propos de Simon.
— Il est allé se faire plaindre chez sa mère, lui glissa-t-elle à l’oreille.
— Est-ce qu’elle habite toujours à Morienval ?
— Non. Elle a fini par se rapprocher. Elle vit à Saint-Pierre, maintenant.
— Pourquoi n’est-elle pas venue au banquet ?
— Je crois qu’elle n’était pas invitée...
Au cours de la veillée qui suivit, Gautier se surprit à nourrir des remords. La sortie précipitée de Simon, si elle ne l’avait pas troublé sur le moment, prenait à ses yeux, à mesure que le temps passait, valeur de défi. Gautier s’interrogea : comment expliquer, se demandait-il, qu’après toutes ces années, et malgré la mort du chevalier, leur père à tous deux, la mère de Simon fût ainsi tenue à l’écart de la famille ? Comment accepter que cette femme ne fût pas accueillie dans la maison de son fils unique ? Certes, elle était papiste ; et les papistes n’étaient pas très bien vus à Coisay... Fallait-il, pour autant, l’ignorer ?
Saint-Pierre, près de Compiègne .
L e matin venu, Gautier s’était mis en selle et avait gagné Saint-Pierre. C’était jour de marché ; aussi n’eut-il aucun mal à se faire indiquer la maison de la femme Bertin. Une masure modeste, mais coquette.
Il appela, heurta plusieurs fois sans succès ; l’huis demeurait clos. Gautier craignait de n’être venu pour rien quand une femme aux joues rondes, coiffée d’un fichu blanc, sortit d’un appentis voisin. L’écuyer la salua.
— Je cherche Simon de Coisay... commença-t-il.
— Vous cherchez votre frère, je vous reconnais, coupa la matrone sur un ton de familiarité frisant l’incorrection.
— Ne serais-tu pas...
— Je suis sa mère, bien sûr, dit-elle en s’essuyant les mains à une sorte de sarrau qui l’enveloppait par-devant. Vous, je vous ai vu naître, et je vous ai torché, vous n’étiez pas plus grand que cet engin-là, dit-elle en désignant une chatte à demi pelée.
Gautier lui sourit bêtement, ne sachant trop quoi dire. Heureusement, la mère de Simon parlait pour deux.
— Le gamin est malheureux, dit-elle ; c’est depuis cette histoire avec les chevaux. Il se sentait déjà tellement inférieur à vous ; maintenant, il vous doit la vie. Vous n’avez pas idée de ce que cela représente, pour lui !
Le visiteur aurait volontiers coupé court à ces confidences. Mais c’était compter sans l’hospitalité qui, chez certains villageois, tient lieu de politesse. Il dut entrer, ranimer le feu, boire un verre de vin chaud... La brave femme, entre deux formules toutes faites, lui asséna quelques vérités.
— La foi tordue de votre défunt père vous fera des ennemis, prédit-elle au passage, ou encore : Simon est votre frère bâtard, il vous voit d’abord comme son frère, mais vous, vous le voyez surtout comme un bâtard...
— C’est faux... commença Gautier.
— Tatata ! Tu parles, je sais comment ça se passe, tout ça. Je n’y suis plus, là-bas, mais je connais ! Seulement il y a une chose que vous devez savoir : c’est que pour le gamin, vous êtes tout. Vous êtes son frère, son père, son meilleur ami – tout ! Il n’a qu’une idée, dans sa sale caboche : se grandir à vos yeux, obtenir votre reconnaissance. Vous me suivez ?
— Où est-il, à cette heure ?
— Vers l’enclos, sans doute... À ruminer, encore, et se faire du mal...
Gautier remercia la mère de Simon, puis il descendit à pied jusqu’à un grand parc à chevaux, en bordure d’un étang gelé. Le givre avait blanchi les herbes rases, donnant à la prairie l’aspect d’une immense nappe grumeleuse. Du chemin, la silhouette de son demi-frère, élancée, gracile à côté des chevaux de trait, paraissait la fragilité même. L’écuyer resta un moment immobile, à l’observer de loin ; puis, se sentant repéré, il mit pied à terre et marcha vers le jeune homme qui regardait de biais, sans bouger.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je suis venu te chercher.
— Personne ne vient jamais jusqu’à Saint-Pierre.
— Moi, je suis
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