La Régente noire
venu.
— Pourquoi ?
Gautier observa les gros chevaux qui, dans un coin de l’enclos, semblaient attendre la charrue.
— Encore plus forts que les nôtres, dit-il. Tu les montes ?
Simon démentit d’un signe de tête.
— Tu as essayé, au moins ? insista l’écuyer.
— Même pas... La vérité, c’est que j’ai la frousse. Encore plus depuis l’autre fois...
— Il faut que tu surmontes ta peur.
Gautier appela sa monture et fit signe à son frère de mettre un pied sur l’étrier gauche.
— Vas-y, je vais t’aider.
L’autre refusa, mais il insista.
— Allez, en selle !
Simon fixa Gautier d’un air mauvais.
— Je ne peux plus, je te dis !
— Vas-y, imbécile.
— Comment tu m’appelles ?
— J’ai dit : imbécile. Minable. Espèce de moins que rien !
Les injures fusaient de la bouche du grand frère, de plus en plus vives, de plus en plus blessantes. Simon, d’abord interloqué, finit par réagir ; mais plutôt que de monter en selle, il se mit à frapper son aîné. Gautier esquiva quelques coups, en encaissa d’autres.
— Monte, disait-il. Allez ! En selle !
La rage au ventre, Simon empoigna le pommeau et enfourcha, d’un bond, le coursier dont il attrapa les rênes et battit vivement les flancs. L’animal s’élança aussitôt et, franchissant d’un saut la barrière, s’éloigna dans la plaine au galop. Simon, à cor et à cri, exhalait au loin son excitation.
— Bravo, petit frère, dit Gautier à voix basse. Tu es le meilleur.
Une idée traversa l’esprit de l’écuyer : un jour, quand lui-même aurait conforté sa position à la Cour, il parlerait au duc d’Alençon, et le convaincrait d’engager Simon à son tour ; ainsi réunis, les frères de Coisay feraient la paire ; on les comparerait un jour aux Dioscures 1 !
Château de Saint-Germain.
C ette année-là, Madame avait réduit à peu de chose les festivités de l’Épiphanie, d’ordinaire si brillantes. Il est vrai qu’un an plus tôt, lors d’un séjour de la Cour chez elle, à Romorantin, elle avait pu craindre les pires conséquences d’un jeu stupide et qui avait mal tourné. Alors que l’on tirait les Rois, la nouvelle était revenue qu’en ville, le comte de Saint-Pol avait eu la fève et coiffé la couronne. François et son cercle, courant sus à ce prétendant d’un soir, s’en étaient allés, comme des collégiens, bombarder son hôtel de boules de neige, et avaient essuyé en riposte des jets de vivres et d’ustensiles. Certains assiégés avaient passé la mesure ; et au plus fort de cette bataille de potaches, un tison ardent, jeté du premier étage, avait blessé le monarque à la tempe, au point de le mettre au lit pour deux mois ! Certes François, jeune encore et vaillant, avait fini par s’en remettre. L’alerte n’en avait pas moins été chaude 12 .
Aussi bien cette année, Madame avait-elle tiré prétexte de la grossesse avancée de la reine – la sixième en six ans – pour maintenir la Cour à Saint-Germain, et sermonner son fils en vue de prévenir tout débordement. Le souper de fête avait eu lieu en comité restreint, chez le roi. Réunis par principe et non par envie, les familiers avaient feint de s’amuser ; et si l’on avait bien partagé la galette, chanté quelques fredons et prévu de crier « le roi boit », le cœur en vérité n’y était guère.
À peine avait-il mordu dans sa part de galette que Philippe Chabot de Brion se sentit gagné par les sueurs froides. La fève était pour lui ! Cela tombait mal, et d’autant plus que le roi lui avait reproché, le jour même à la chasse, une certaine tendance à se mettre en avant. Le gentilhomme affecta l’air le plus impassible ; mais il envisageait déjà d’avaler le petit trophée...
La compagnie, autour de lui, se forçait à sourire. Seul le fou Triboulet 13 , que la fausseté mettait en joie, parvenait à conserver son entrain.
— Cousin ! hurla-t-il en désignant soudain Chabot.
C’est ainsi qu’il appelait son maître ; l’assistance tendit l’oreille.
— Cousin, c’est lui qui a la fève, je l’ai vu ! Mais il préfère l’avaler que d’avoir l’air de vous défier.
— Vraiment ? dit le roi. Et comment le prouver ?
— Convoquez la Faculté, qu’elle aille fouiller sa merde !
Quelques rires accueillirent la saillie. François fit observer que c’était chercher bien bas des preuves de royauté...
Triboulet leva au ciel un faciès
Weitere Kostenlose Bücher