La Régente noire
me renseigner.
Après un moment, le vieil homme revint, radouci.
— On vous attend là-haut, dit-il.
Quand Gautier fut introduit dans l’antichambre du grand sénéchal, il comprit que la mission qu’on s’apprêtait à lui confier n’était pas tout à fait ordinaire. Plusieurs hommes d’armes attendaient en effet, arme au pied, la constitution d’une véritable escorte. Gautier se présenta, et les salua personnellement l’un après l’autre.
L’ordonnateur n’était pas Louis de Brézé – peut-être souffrant, ou retenu ailleurs – mais son épouse, la belle Diane. L’écuyer ne s’en étonna guère, dans une Cour où les dames – il avait pu s’en rendre compte – s’arrogeaient à peu près tous les pouvoirs.
— Vous êtes le chevaucheur ? demanda-t-elle sans préambule.
— Oui, madame.
— Vous paraissez bien jeune.
Gautier n’osa pas lui renvoyer la politesse.
— J’appartiens à la Maison de Mgr le duc d’Alençon...
— Je sais, merci.
Elle le fit entrer dans une petite pièce attenante, qui devait servir habituellement de chambre de veille, puis elle disparut.
Une heure passa. Gautier commençait à se demander s’il n’avait pas été, tout simplement, oublié, quand une jeune fille très belle, auréolée d’une chevelure d’archange, passa la tête à l’intérieur. Avec un sourire comme le cavalier n’en avait jamais vu – un sourire tendre, amusé, naïf, très frais et très mûr à la fois – elle lui proposa de prendre un en-cas avant de se mettre en route. Gautier sourit à son tour.
— Je me nourris fort bien de vos paroles et de votre sourire...
La jeune fille ne s’effaroucha pas.
— Je serais à votre place, je prendrais un en-cas plus substantiel. Il y a du vin et des salaisons à l’office.
En d’autres circonstances, Gautier aurait signalé qu’un Coisay n’avait rien à faire dans un quelconque office ; mais ce soir-là, le guide était si beau, la proposition si charmante, qu’il se contenta d’acquiescer, et suivit l’archange en silence.
— Je m’appelle Françoise, lui dit-elle en chemin. Françoise de Longwy.
Et comme, visiblement, il peinait à lui répondre, elle livra un peu vite une précision qu’en temps normal, elle aurait gardée pour elle.
— Je suis la nièce du roi.
— Vraiment ?
— Ma mère était bâtarde du comte d’Angoulême ; si vous préférez, la demi-sœur de Mme Marguerite et de Sa Majesté.
À ces mots de bâtarde et de demi-sœur, Gautier fronça les sourcils.
Il était tout juste attablé, ne quittant plus des yeux son charmant cicérone, quand un valet surgit à l’office pour le conduire de plus belle auprès de Mme de Brézé. Coisay retrouva sans plaisir la maîtresse des lieux.
— Monsieur, dit-elle avec toujours une pointe de sécheresse, je vous confie, au nom de la reine, une mission sensible. Vous allez porter cette missive à Mgr le duc de Bourbon, dans sa forteresse de Moulins. L’un de vos hommes d’armes connaît l’itinéraire. Bien entendu, vous remettrez ce pli en mains propres, et attendrez, pour revenir, la réponse que le connétable pourrait être amené à vous confier. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Parfaitement, madame.
— Alors, je ne vous retiens pas.
Gautier reçut l’étui contenant la lettre royale, salua, sortit. Il dévala les marches jusqu’à la cour où l’attendait, déjà en selle, la petite escorte. Son nouvel emploi de messager lui plaisait, et jamais auparavant il n’avait éprouvé, au moment de se mettre en route, le moindre regret, la plus petite appréhension... Ce soir-là, ce fut tout différent ; et il sentit son cœur se serrer à l’idée de partir sans avoir revu l’archange aux cheveux d’or... Tandis qu’il contrôlait son paquetage, sa frustration devint même si vive qu’il dut faire un effort sérieux pour la surmonter.
Heureusement la Providence, qui veille parfois sur les amours naissantes, le récompensa de son stoïcisme. À peine les hommes d’armes franchissaient-ils le porche que Gautier aperçut, postée dans un œil-de-bœuf au coin du grand corps de logis, la belle Françoise qui l’attendait au passage. Il se redressa fièrement, lança quelques ordres brefs puis, se découvrant d’un geste fort ample, salua très bas celle qu’il eût rêvé d’attirer à sa suite vers un tout autre voyage.
Château de Saint-Germain.
T ous ceux qui fréquentaient Louise de Savoie savaient
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