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La Régente noire

Titel: La Régente noire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franck Ferrand
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grands barons à qui l’on ne saurait rien refuser. Ni pour lui, ni pour les siens !
    En vérité, le connétable ne croyait guère à ces châteaux en Espagne ; mais Saint-Vallier, volontiers rêveur, ne put s’empêcher de les prendre en compte. La perspective, même fumeuse, même imposée par le hasard, de devenir un jour intime et confident du futur maître du monde, cette chimère trouvait à ses yeux un début de consistance. Sans étouffer ses derniers scrupules, elle contribuait à les rendre un peu plus vivables. C’est elle qui, finalement, l’inciterait à se taire.
    Château d’Orcher.
    J ean Le Veneur, évêque de Lisieux, se déplaçait ordinairement en litière ou à dos de mule, revêtu de la tenue épiscopale et entouré de son chapitre, bannières au vent... Mais le 10 août 1523, c’est presque seul et en tenue de cavalier, botté, éperonné, qu’il se présenta au château d’Orcher, sur une falaise aux portes de Harfleur. Un pénible vent de mer avait soufflé depuis le matin, si bien que le prélat, quand il mit pied à terre, était ivre de sel et d’iode.
    Louis de Brézé le reçut toutes affaires cessantes, dans une bibliothèque où s’étalaient, dépliées sur de longues tables, plusieurs cartes de la côte normande. Le grand sénéchal savait qu’une telle visite ne pouvait être dictée que par de graves circonstances, et il fit en sorte qu’aucune oreille indiscrète ne vînt troubler leur tête-à-tête.
    — Monseigneur, commença-t-il, ne perdons pas de temps en politesses. Dites-moi tout de suite ce qui me vaut l’honneur de votre visite.
    — Mon cher fils, pour la première fois de ma vie – et j’espère que ce sera la seule – je me vois dans l’obligation de violer le secret du confessionnal.
    Louis de Brézé avait désigné une cathèdre à son visiteur ; Jean Le Veneur s’y laissa choir avec soulagement. Tout en parlant, il se massait vigoureusement les jambes.
    — J’ai beaucoup réfléchi avant de vous confier ce qui va suivre, mais tout bien pesé, je crois qu’il y va de mon devoir de bon chrétien et de sujet loyal. Les renseignements que je vais vous livrer m’ont été confiés en propre, hier, par deux jeunes seigneurs de mon diocèse, alors que...
    — Leurs noms ?
    L’évêque hésita quelques instants.
    — Argouges et Matignon. Après tout, ils n’ont rien fait de répréhensible... Jacques d’Argouges et Jacques de Matignon.
    Louis de Brézé nota ces noms sur un morceau de papier. Le prélat poursuivit.
    — Hier donc, dans la soirée, ces deux gentilshommes m’ont fait prier de les entendre en confession. Ils rentraient d’un périple en Vendômois, où ils s’étaient rendus au-devant, me dirent-ils, de l’envoyé d’un très haut et très puissant personnage.
    — Le connétable de Bourbon ?
    — En effet. L’émissaire du connétable s’appelle Lurcy ; vous le connaissez peut-être.
    — Je le situe assez bien.
    — Ce Lurcy, venant de Montbrison, a rencontré mes jeunes fidèles en une chambre isolée de l’hôtellerie des Trois-Rois, à Vendôme. Tout de suite, il leur a fait jurer de garder pour eux ce qu’il avait à leur dire ; puis, tout comme on donnerait des nouvelles de la Ville ou de la Cour, il les a informés du prochain mariage de son maître avec une sœur de l’empereur Charles !
    — Nous savons déjà tout cela, répondit Brézé, presque rassuré.
    — Mais ce n’est pas tout !
    L’évêque haussa légèrement le ton.
    — Il leur a fait part, également, d’une récente alliance passée entre l’empereur, le roi d’Angleterre et le duc de Bourbon pour enlever François I er , l’enfermer à Chantelle, envahir son royaume et en démanteler jusqu’au dernier arpent !
    Le sénéchal resta tout un moment tétanisé.
    — C’est donc cela !
    Sa voix avait perdu toute assurance. Le prélat s’enflamma.
    — Une ignominie, mon fils ! Les Anglais doivent attaquer par la Normandie, les Espagnols par le Roussillon, Bourbon dans le cœur même du royaume, avec des soutiens germaniques et tout un appui logistique à Dijon !
    — Mon Dieu... Et quel rôle avait-on réservé à vos gentilshommes ?
    — Celui de faciliter, par tous moyens, l’accès des côtes normandes à l’amiral d’Angleterre !
    — Évidemment ! tonna Brézé en remuant ses cartes.
    L’évêque de Lisieux paraissait assez satisfait de son effet.
    — Bien entendu, Matignon et Argouges ont refusé tout net de

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