La Régente noire
moment libérateur où, tirant enfin le connétable de son fatal aveuglement, il lui ferait sentir tout le danger de sa folie, et la nécessité de revenir loin en arrière.
Aussi bien Jean de Saint-Vallier se fit-il annoncer tôt dans la chambre de son hôte ; au point de le surprendre au lit.
— Eh, cousin ! s’exclama le connétable d’une voix où perçait plus d’ennui que de surprise. Aurais-tu croisé quelque fantôme ?
Au vrai, l’apparence du père de Diane laissait fort à désirer ; et si l’œil, très bleu, savait demeurer vif, on devinait pourtant, aux traits tirés du visage, à l’aspect hirsute de la barbe, que le pauvre homme n’avait pas dû dormir à son aise. Au moins, il avait eu le temps de roder son plaidoyer.
— Monseigneur, se lança-t-il sans autre préambule, cette nuit m’a porté conseil. Et je crois devoir au grand respect que je porte à votre famille, ainsi qu’à la mémoire de Mme de Beaujeu, le sacrifice de vous déplaire et la peine de vous contredire.
— Allons donc, les grands discours ! Charmante aubade...
— Avez-vous bien pleinement songé, mon cousin, aux très graves conséquences de la résolution que vous avez prise ?
— Je n’ai pris nulle résolution ; j’ai signé un traité. Voilà tout. Quant à toi, tu as fait serment de discrétion...
— Aussi je ne m’en ouvre qu’à vous, rien qu’à vous. Mais je vous prie, très humblement, de considérer les effets immédiats de cette guerre à laquelle vous allez ouvrir la porte. Songez au gros mal qui s’ensuivra, en effusion de sang humain, en destruction de villes, de bonnes maisons et d’églises même, en forcement de femmes et autres calamités que je ne saurais imaginer !
— C’est là le tribut de toute guerre, hélas !
— Mais, monseigneur...
Charles de Bourbon, visiblement las de ces leçons matinales, rabattit d’un coup ses draps brodés d’or et d’argent.
— Il suffit, souffla-t-il. Tu as juré sur la Vraie Croix, je te demande le silence. Rien de plus !
Jean de Saint-Vallier, de sa vie, n’avait jamais senti peser sur lui le poids de telles responsabilités. Moment difficile. Fallait-il, pour sauver une paix du reste fort compromise, qu’il sacrifiât le crédit accumulé, dans l’estime des Bourbons, par plusieurs générations de Poitiers ?
— Ah monsieur, dit-il, j’aimerais tant pouvoir me ranger à vos augustes avis ! Mais cela ne serait digne ni de ce que vous êtes, ni de ce que je crois. Songez encore, je vous en supplie, que si, sur un simple mouvement de plume, vous deviez causer la ruine de ce royaume, vous seriez la personne la plus maudite qui fût jamais, et que l’on honnirait votre nom mille ans encore après votre mort !
— Allons, comme tu y vas !
La voix du connétable faiblissait, cependant. Et le gentilhomme en profita pour asséner un coup décisif.
— Songez, monsieur, à la grande trahison que vous faites à l’égard d’un roi absent et confiant. Et même, si vous n’avez égard au roi et à Madame, ce que je puis comprendre – ô combien ! –, au moins respectez la reine, respectez messires ses enfants !
Le connétable soupira. Saint-Vallier se prenait à son raisonnement.
— Ne causez pas, vous, un Bourbon, la perte d’un royaume dont les ennemis, une fois dans la place, auraient tôt fait de vous chasser le premier !
Charles demeurait muet à ce discours ; mais à sa façon de renifler, Jean comprit, plein d’espoir, qu’il ravalait des larmes. Un court silence s’instaura ; puis tous deux reprirent la parole en même temps ; le vassal s’effaça devant son suzerain.
— Cousin, que veux-tu que je fasse ?
Le duc de Bourbon, connétable de France, descendit de son lit et jeta sur ses épaules une curieuse chape de brocart.
— Je t’écoute : que diable veux-tu que je fasse ? Le roi m’a lâché, Madame a juré ma perte, la Cour a déjà fait son deuil de moi. Non, tout le mal vient de cette femme ; elle fait sur le Parlement une pression terrible pour qu’il entérine ses déprédations et ses injustices !
— Le roi vous a fait savoir, monseigneur, qu’il vous restituerait vos biens...
— A titre viager, oui ! Mais que transmettrai-je ? Et à qui ? Alors que, si je me marie, que si j’étends mon domaine... Si je deviens un jour empereur...
— Empereur ?
— Empereur, mon bon Saint-Vallier. Et toi, chambellan, pourquoi pas ?
— Chambellan !
— Eh oui : un de ces
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