La Régente noire
chemin parcouru depuis Lyon. À l’époque – trois ans plus tôt – l’assaut irrésistible de son frère l’avait plongée dans un abîme de dégoût mêlé de remords. Cette fois, quoique secouée, sans aucun doute, elle avait surmonté son aversion. Les choses n’en devenaient pas moins dangereuses ; et Marguerite se dit qu’il était temps, pour elle, de s’éloigner de Madrid.
Les complices avaient tout réglé. Dans la soirée précédant l’heure décisive, François sentit monter en lui une excitation qu’il n’avait plus connue depuis Pavie. Marguerite, en lui rendant sa visite habituelle, s’émut de le voir à nouveau plein de vie – comme ressuscité. Elle n’en était pas moins triste, et François le lui fit remarquer.
— C’est la peur, dit-elle, qui m’affecte.
— Vous ne risquez pas grand-chose...
— Je ne crains rien pour moi, sire. Dussé-je passer le reste de mes jours au fond d’un couvent ! C’est pour vous que je m’inquiète.
— Alors soyez tranquille. Tout ira bien.
Elle prit congé comme chaque soir, sur les coups de six heures ; et pour le roi, l’attente commença. Discrètement, lorsqu’il fut seul, il entreprit de récupérer la suie dont il devait se noircir la face et le dessus des mains.
Sept heures sonnèrent : le porteur de bois était en retard.
Sept heures et quart. Rien.
À sept heures et demie, l’évasion parut compromise.
Et de fait, quand, à huit heures, Montmorency entra pour le « souper du roi », François était toujours dans sa cellule. Gêné, ne voulant rien révéler au maréchal d’une affaire qu’il lui avait soigneusement cachée, il ne put se garder, néanmoins, de courir aux nouvelles.
— Je n’ai point vu mon porteur de bois, fit-il remarquer, l’air de rien.
Anne de Montmorency le regarda de travers. François comprit qu’il était au fait de tout.
— La garde est sur les dents, lâcha enfin le maréchal. On vient d’éventer un complot qui visait à vous faire évader.
François jugea plus élégant de ne pas insister. Il attendrait le lendemain pour se faire conter les détails. Le capitaine Cavriana, ainsi que deux de ses complices, avaient été arrêtés. Aussitôt mis à la torture, ils avaient parlé, mais sans impliquer nommément le roi, ni sa sœur.
Une chape de plomb s’était abattue sur Los Lujanes. On renforça les sentinelles, on doubla les tours de garde. Aucun visiteur ne fut plus admis seul chez le roi ; et quand Marguerite se présenta, vers midi, elle était encadrée de deux hommes en armes. François grimaça.
— Tout est perdu, murmura-t-il.
— Mais non, voyons... C’est peut-être mieux ainsi.
— Qu’allez-vous dire à l’empereur ?
— Je ne lui dirai rien. Je serai partie avant.
Comme François l’avait redouté, Marguerite lui expliqua combien, le complot éventé, sa position devenait délicate, pour ne pas dire intenable. Elle devait regagner la France au plus tôt, et profiter du sauf-conduit qu’on n’avait pas encore songé à lui retirer.
— Vous avez raison, concéda le roi, la mort dans l’âme. Partez, sauvez-vous !
— Avant cela, vous devez me confier quelque chose.
La princesse parlait bas, dans un français assez rapide pour déjouer les efforts indiscrets des gardiens.
— J’ai longuement discuté avec le maréchal, et nous sommes tombés d’accord sur ce fait : vous resterez sous les verrous longtemps encore.
François fut parcouru d’un frisson. Marguerite exposa son nouveau plan.
— Tant qu’il détient le roi de France, l’empereur n’a aucun intérêt à le relâcher. Seulement, imaginez que votre qualité vienne à changer, que vous-même perdiez ce statut royal...
— Comment voulez-vous...
Le roi n’acheva pas sa question. Il avait compris.
— Vous me proposez d’abdiquer, dit-il la gorge nouée.
— Sire, cela me paraît la seule issue possible. Abdiquez en faveur du dauphin ; et par un trait de plume, vous aurez fait sortir le roi de France de sa prison.
Le souverain voulut bien sourire.
— Et vous pensez que François d’Angoulême sortira d’ici, plus facilement que François I er ?
— Je le crois. Je l’espère. Car ce n’est pas François d’Angoulême que l’empereur retient si férocement.
— Je crains que vous n’ayez raison...
Marguerite aurait voulu prendre son frère dans ses bras, pour le réconforter dans ce moment difficile. Mais le souvenir encore frais de leur récente
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