La Régente noire
sérieusement sa libération et, pour la hâter, eût accepté des concessions énormes.
Dans son esprit – il l’avait proclamé solennellement l’été précédent – des accords extorqués à un souverain sous la contrainte se révéleraient tôt ou tard invalides, et ne l’engageaient pas vraiment. Le but, dès lors, était d’obtenir, à n’importe quel prix, la levée de l’écrou ; une fois dehors, il serait toujours temps de renégocier...
Voilà pourquoi le texte du traité fut si dur pour le roi, si favorable à l’empereur. François cédait à son vainqueur la Bourgogne et Tournai ; il renonçait à ses prétentions sur le Milanais et le royaume de Naples ; même, il rétablissait le duc de Bourbon dans tous ses droits. De plus, en garantie de bonne exécution, François s’engageait à prendre la sœur de Charles pour épouse et, suprême sacrifice, remettait ses propres enfants mâles, en tant qu’otages, à ses geôliers !
Initialement, les trois princes avaient été visés par les négociateurs impériaux ; puis on avait admis que le petit Charles de France était décidément trop jeune pour supporter une telle déportation. Seuls le dauphin et le duc d’Orléans feraient donc le voyage.
François, pour tolérer ces conditions léonines, avait dû consentir un effort mental important. Énorme. Le jour, dans le feu roulant de conversations raisonnables, il lui arrivait de tout prendre avec le sourire. Mais c’est la nuit que tout lui revenait en face. Alors, ballotté dans des rêves dont il s’éveillait en sursaut, couvert de sueur, le roi de France était la proie de fixations pénibles et d’images obsédantes. Sans cesse, jusqu’au tréfonds de son sommeil, il était harcelé par le visage implorant d’un certain Isaac aux pieds d’Abraham.
— Ce traité me tuera, disait le roi presque chaque matin, à son lever.
Ce qui n’empêchait personne, autour de lui, de constater un mieux dans son état général...
Le 14 janvier, jour de la signature, il réunit de bon matin ses plus fidèles conseillers, ainsi que les émissaires de sa mère en Espagne. Il s’agissait officiellement de leur présenter le texte achevé. Mais quand ils furent tous entrés, le roi les pria de fermer la porte et, posant le pied sur une chaise, d’un ton ferme et rapide, signe d’un discours mûri de longue date, leur fit une déclaration.
— Messieurs, je vous ai convoqués pour vous dire secrètement, mais de manière solennelle, que je n’ai pas du tout l’intention de respecter, dans l’avenir, les termes du traité que je m’apprête à signer.
D’un regard, François chercha l’approbation du maréchal, qui la lui dispensa généreusement.
— Cette séance de signature ne sera, véritablement, qu’un subterfuge ayant pour fin unique de retrouver ma liberté et, partant, ma couronne.
Montmorency opinait du chef.
— Un roi prisonnier, conclut François I er , n’est plus tout à fait un roi ; et les actes qu’il signe sont sujets à caution. J’entendais que tous, ici présents, fussiez témoins ce matin de ma ferme volonté de dénoncer dès que possible les conditions formulées par un acte que je ne signe que sous la contrainte.
Personne n’osa évoquer les conséquences d’une telle attitude pour les petits otages, ni les effets, forcément terribles pour eux, d’une si parfaite duplicité. Il devait être évident pour tous que les jeunes princes François et Henri n’étaient plus, dans cette affaire, que deux victimes à sacrifier sur l’autel de la raison d’État.
Domaine d’Illescas .
L e traité fut signé, mais la libération du roi n’intervint pas dans la foulée. Il convenait, pour la rendre effective, que bien des conditions fussent remplies – à commencer par l’arrivée des otages de relève. À Los Lujanes, les lois de la diplomatie n’en prirent pas moins le pas sur celles de la guerre ; et le régime carcéral perdit sa dimension vexatoire.
Le monarque français n’allait pas tarder à recouvrer sa superbe, comme ces oiseaux ternis dont une semi-liberté ravive les couleurs. Un mois après la signature, François était au mieux de sa forme ; il se fendit même d’une visite galante à sa future épouse.
Charles Quint, pour la circonstance, avait placé sous surveillance étroite le château d’Illescas, à mi-chemin de Madrid et Tolède. Par jeu, Éléonore de Habsbourg avait préparé une surprise à son invité,
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