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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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loup qui a croisé un tigre.
    Paul s’arrête, fasciné. Curry lui a souvent répété cette phrase. Même moi, je la connais. On dirait un loup qui a croisé un tigre.
    Paul referme le livre, petite graine sombre, résistante, dans son enveloppe de chiffons. Une odeur d’embruns a rempli la pièce.
    — Terminé, les garçons, lance une voix de nulle part. C’est l’heure.
    — Tout de suite, madame Lockhart.
    En un tournemain, Paul escamote le livre sous le tee-shirt que lui a prêté Katie.
    — On fait quoi, maintenant ?
    — Il faut le montrer à Richard, répond Paul.
    — Ce soir ?
    Quand nous sortons de la salle, Mme Lockhart grommelle quelques paroles incompréhensibles sans prendre la peine de lever les yeux.
    — Il faut que j’en parle à Richard. Qu’il sache au moins que Bill l’a retrouvé, chuchote Paul en jetant un coup d’œil à sa montre.
    — Où est-il en ce moment ?
    — Au musée. Il y a une soirée pour les curateurs.
    J’étais sûr que Richard Curry serait en ville pour célébrer la fin du supplice de Paul.
    — On fêtera ça demain, ajoute-t-il, ayant deviné la question que j’allais lui poser.
    Un coin du journal dépasse de son tee-shirt, clin d’œil noir cerné de bandages. Au-dessus de nos têtes, l’écho d’une voix, on dirait presque un rire.
    —  Weh ! Steck ich in dem Kerher noch ? Verfluchtes dumpfes Mauerloch, Wo selbst dos liebe Himmelslicht trüb durch gemalte Scheiben bricht !
    — Gœthe, m’éclaire Paul. « Malheur ! Suis-je encore en prison ? Quelle grotte humide damnée, où même la lumière douce du ciel ne traverse les vitraux qu’atténuée ! » Elle termine toujours sa journée avec Faust.
    Tenant la porte ouverte, il lance avant de sortir :
    — Bonne nuit, madame Lockhart.
    D’une voix plus modulée, la bibliothécaire fait écho à ces paroles.
    — Oui, répond-elle. Passez une très bonne nuit.

Chapitre 6
    Si j’en crois les bribes d’information que j’ai glanées au contact de mon père et de Paul, Vincent Taft et Richard Curry se rencontrèrent à New York, au cours d’une réception donnée dans un immeuble cossu du nord de Manhattan. Jeune professeur à Columbia, Taft n’arborait pas encore l’embonpoint qui le caractériserait plus tard, mais il avait déjà la rage au ventre et le tempérament bourru. Depuis la soutenance de sa thèse et la parution de deux ouvrages, le tout en dix-huit mois, il était la coqueluche des critiques, et les cercles mondains s’arrachaient cet intellectuel en vogue. De son côté, exempté du service militaire à cause d’un souffle au cœur, Curry débutait dans le monde des arts. D’après Paul, il sélectionnait ses amitiés avec soin et se taillait une solide réputation dans ce milieu versatile.
    Les présentations furent faites en fin de soirée. Passablement éméché, Taft renversa du vin sur son voisin de table, séduisant jeune homme à la carrure athlétique. L’accident était inévitable, m’expliquerait Paul, car Taft passait alors pour un ivrogne invétéré. Le beau garçon ne se formalisa pas de cette maladresse, jusqu’au moment où il comprit que Taft n’avait aucune intention de présenter des excuses, puisqu’il se levait déjà pour prendre congé. Lui emboîtant le pas jusqu’à la porte, l’offensé demanda réparation mais Taft poursuivit son chemin vers l’ascenseur et, pendant le trajet qui les mena dix étages plus bas, abreuva sa victime d’injures et le condamna à une existence « indigente, dégoûtante, animale et brève ».
    Son souffre-douleur sourit.
    —  Léviathan, avait dit Curry — car c’était lui —, passionné de Hobbes quand il étudiait à Princeton. Sauf que vous avez oublié solitaire. « La vie de l’homme est solitaire, pauvre, pénible, bestiale et brève. »
    — Non, je ne l’ai pas oublié. J’ai gardé solitaire pour moi, c’est tout. Indigente, dégoûtante, animale et brève, c’est pour votre pomme.
    Taft s’affaissa sous un réverbère en grimaçant. Sur ce, Curry héla un taxi, hissa Taft à l’intérieur et se fit déposer à son domicile, où Taft demeura douze heures durant dans un état d’hébétude. La légende raconte que, lorsqu’il émergea de sa stupeur, les deux hommes engagèrent le dialogue tant bien que mal et abordèrent leurs domaines de compétence respectifs ; au moment où ils semblèrent avoir épuisé tous les sujets, Curry, soudain inspiré, évoqual’

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