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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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me confia un jour mon père, tu comprendras enfin Colonna. » Son intuition lui soufflait qu’il fallait creuser ailleurs : dans des journaux intimes, des échanges de correspondance et des documents de famille. Il n’en a jamais vraiment parlé, mais je pense qu’il a toujours soupçonné l’existence d’un secret caché dans ces pages. Et malgré les équations de Taft, il croyait fermement que ce secret avait trait à une histoire d’amour : à une liaison entre Colonna et une femme de condition modeste ; un baril de poudre politique ; un héritier illégitime ; une passion à l’instar de celles qu’imaginent les adolescents avant que le monde des adultes ne chasse définitivement ce qu’il leur reste d’innocence.
    Lorsqu’il arriva à Manhattan, détaché de l’université de Chicago, mon père comprit que Taft et Curry, bien que leur approche fût différente de la sienne, faisaient considérablement avancer la science. Curry invita son ami à se joindre à leur tandem et mon père accepta. Comme des animaux enfermés dans une cage, les trois hommes tâchèrent de s’adapter l’un à l’autre, d’abord dans la méfiance, puis dans l’équilibre quand le territoire de chacun fut mieux délimité. À cette époque, le temps était leur allié et ils croyaient en ce livre. Comme une sorte de médiateur cosmique, le vieux Francesco Colonna veillait sur eux, les guidait, recouvrait les dissensions de couches d’espoir. Et pendant quelque temps, un semblant d’unité prévalut.
     
    L’entente dura dix mois. Curry fit alors cette découverte qui fut fatale pour leur association. Il avait délaissé les galeries au profit des salles de vente où se concentrent les véritables enjeux du monde de l’art et c’est en organisant sa première enchère qu’il tomba par hasard sur un cahier fort ancien ayant appartenu à un collectionneur d’antiquités, décédé depuis peu.
    Il s’agissait du journal du capitaine du port de Gênes, un vieillard à l’écriture serrée, qui consignait le moindre détail se rapportant aux conditions climatiques ou à son état de santé défaillant mais aussi aux mouvements qui agitaient les quais au cours du printemps et de l’été 1497, y compris les événements étranges qui accompagnèrent l’arrivée d’un homme appelé Francesco Colonna.
    Le capitaine du port — que Curry surnommait « le Génois », ce dernier n’ayant pas laissé trace de son nom — nota scrupuleusement toutes les rumeurs qui circulaient dans le port sur le compte de Colonna. Il mit un point d’honneur à épier les conversations de Colonna, ce qui lui permit de découvrir que le riche Romain était à Gênes pour surveiller l’arrivée d’un navire dont lui seul connaissait la cargaison. Le Génois était supposé transmettre à Colonna les informations sur l’activité portuaire et, un jour, il surprit Colonna en train de griffonner quelques mots sur un papier qu’il s’empressa de ranger quand il s’aperçut de la présence du visiteur.
    S’il ne s’était agi que de cela, le journal du capitaine du port n’aurait pas révélé grand-chose surl’ Hypnerotomachia. Mais le Génois, en homme curieux, attendait avec impatience le navire de Colonna. Pour connaître les intentions du gentilhomme, il lui fallait mettre la main sur les papiers de navigation établissant la nature du chargement. Il demanda donc à son beau-frère Antonio, un marchand qui faisait parfois commerce de biens de contrebande, d’engager un voleur pour pénétrer chez Colonna et recopier tout document qu’il y trouverait. En échange de la complicité du Génois dans quelque opération de piraterie, Antonio accepta de collaborer.
    Le hic, c’est qu’à la seule évocation du nom de Colonna, les fripouilles les plus affamées prenaient leurs jambes à leur cou. Antonio s’en remit donc à un larron illettré qui, contre toute attente, s’acquitta bien de son travail. Il recopia les trois documents que Colonna avait en sa possession : le premier racontait une histoire que le capitaine du port, la jugeant sans intérêt, ne relata pas en totalité ; le deuxième était une pièce de cuir sur laquelle on avait gravé une figure compliquée qui n’évoquait rien au Génois ; enfin le troisième était une sorte de plan, une carte étrange sur laquelle on reconnaissait les quatre points cardinaux, chacun suivi d’une série de signes que le Génois s’efforça en vain de déchiffrer.

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