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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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vint le saisir, furent celles du mari, du père et de l’érudit. Elles demeurèrent jusqu’à la fin.
    Après le vol du journal du Génois, Taft disparut de la vie de mon père pour resurgir sous la forme d’un venin distillé derrière le masque de la recherche. Curry se manifesta trois ans plus tard pour le mariage de mes parents. Il envoya à mon père une lettre torturée, hantée par les fantômes de ces jours sombres. Après ses félicitations aux jeunes mariés, expédiées en deux phrases, il n’était question que del’ Hypnerotomachia.
    Le temps passa ; leurs mondes divergèrent. Porté par le dynamisme de ces années, Taft se vit offrir un poste au prestigieux Institute for Advanced Study, où Einstein enseigna à l’époque où il vivait près de Princeton. C’est un honneur que lui envia certainement mon père et qui libérait Taft des contraintes de l’enseignement. En dehors des thèses de Bill Stein et de Paul, le vieil ours refusa de diriger à l’avenir des travaux d’étudiants. De son côté, Curry accepta un poste à la Skinners Auction House à Boston et gravit les échelons de cette célèbre salle des ventes. Dans la librairie de Columbus où mon père avait appris à marcher, trois jeunes enfants l’aidèrent à oublier, du moins pour un temps, cette expérience new-yorkaise qui l’avait profondément marqué. Ces trois hommes, que l’orgueil et les circonstances avaient séparés, trouvèrent des substituts à l’ Hypnerotomachia , des ersatz à cette quête abandonnée trop tôt. L’horloge des générations se prépara à une autre révolution et, avec le temps, les amis se muèrent en étrangers. Sans doute Francesco Colonna, qui détenait la clef du mécanisme de cette horloge, pensait-il que son secret résisterait à tous les assauts.

Chapitre 7
    Derrière nous, la bibliothèque s’estompe dans la pénombre.
    — Et maintenant, où allons-nous ?
    — Au musée, répond Paul, qui marche voûté pour protéger son précieux fardeau.
    Nous longeons Murray-Dodge, sorte d’excroissance de pierre située au cœur de la partie nord du campus. Des étudiants en art dramatique y répètent Arcadia, de Tom Stoppard. C’est la dernière œuvre que Charlie est censé étudier pour valider son UV de littérature et nous assisterons ensemble à la représentation de dimanche soir. Déchirant les murs tapissés de velours, s’élève la voix de lady Thomasina, l’héroïne de la pièce, jeune prodige de treize ans qui m’évoque Paul immanquablement :
    — « Si on pouvait arrêter tous les atomes, les figer chacun dans sa position et sa direction, et si notre esprit était capable de concevoir toutes les actions ainsi suspendues… Si, enfin, on était très, mais alors très fort en algèbre, on pourrait écrire la formule de l’avenir tout entier. Et même si personne n’est assez malin pour la trouver, moi, je suis sûre qu’elle existe. »
    — « Oui, balbutie son tuteur », épuisé par la mécanique du cerveau de la jeune fille. « Oui. Pour autant que je sache, vous êtes la première à avoir cette idée. »
    Au loin, le musée semble encore ouvert. Un soir férié, c’est un petit miracle. Par définition, les conservateurs de musée sont de curieux personnages. Qu’ils soient réservés comme des bibliothécaires, ou fantasques comme des artistes, la plupart d’entre eux préféreraient laisser des bambins barbouiller un Monet plutôt que d’autoriser l’accès à des étudiants.
    McCormick Hall, qui abrite le département d’histoire de l’art, se dresse devant le musée proprement dit. Derrière les panneaux de verre de l’entrée, les gardiens surveillent notre approche. Ils me rappellent une exposition d’avant-garde où Katie m’avait traîné et à laquelle je n’avais strictement rien compris : ils ont toute l’apparence de la réalité mais leur silence et leur immobilité, derrière leur bocal de verre, démentent cette impression. Une affichette sur la porte annonce une réunion du conseil d’administration du musée d’art. De minuscules caractères précisent que l’accès est interdit au public. J’hésite, mais Paul entre résolument.
    — Richard ! lance-t-il d’une voix tonitruante dans le hall.
    Des têtes se retournent, je ne reconnais aucun visage. Aux murs du rez-de-chaussée, les tableaux figurent autant de petites fenêtres colorées qui trompent l’ennui de cet édifice blanc. Dans une salle adjacente, des

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