La reine de Saba
les faire flotter !
Une
immense et provocante clameur, soutenue par les tambours et les trompes,
résonna sur l’eau. Elle parvint à la côte où se pressait la population de
Sabas. On devinait les insolences et les insultes, et chacun demeurait coi. Ce
vacarme féroce suffit, sembla-t-il, à immobiliser cette nave comique, inutile
et si solitaire, à quoi se résumait la flotte de guerre de Saba.
Avec
difficulté, à grands coups de rames, le bateau se mit de travers. Il tangua sur
la crête des vagues comme si, conscient de sa ridicule faiblesse, il cherchait
à se protéger derrière l’amas des dizaines d’épaves qui le séparaient des
birèmes aux rames encore dressées.
Le jour,
maintenant, se levait de plus en plus vite. Déçus de n’avoir pas à combattre
sérieusement, pleins de mépris, les capitaines ennemis cessèrent de rire. Ils
donnèrent les ordres. D’un bateau à l’autre, les trompes sonnèrent l’attaque.
D’un même
élan, sur les quatre navires, les voiles furent carguées plus serrées. Les
doubles bancs de rames plongèrent dans l’eau. Les frappements des tambours de
nage battirent sur la mer comme un seul cœur bondissant.
L’échine
des gens de Sabas frémit. Sur la plage et le port, personne ne disait mot. Ils
virent les birèmes prendre de la vitesse. Leurs rostres de bronze brisaient
l’écume. Les proues tranchaient la houle dans un crissement de lame. Et, en face,
ce n’étaient que désastre et désolation !
Les
birèmes franchirent cinquante coudées. Puis cent, en un rien de temps.
On eût cru
une meute d’hyènes fonçant sur une bête malade. Enormes, puissantes, avec la
souplesse des fauves elles épousaient la houle, soulevant des gerbes d’eau
argentée. Les épaves sautillant sur les vagues étaient de plus en plus proches.
Elles ne semblaient, en comparaison, que des fétus. Sur la rive, on les
imaginait déjà se brisant, s’émiettant sous le choc des éperons de bronze.
C’est
alors que du flanc surélevé de la birème inachevée de Saba basculèrent des
panneaux. Derrière se trouvaient Tamrin et vingt des meilleurs archers de Saba
formés par Akébo.
Sur
l’ordre de Tamrin, sans crier gare, une pluie de flèches enflammées monta soudain
dans le ciel pâle.
Les
capitaines des bateaux de Maryab ne comprirent pas. Ils sourirent à nouveau.
Voilà toute l’astuce ! Et quelle maladresse ! Leurs birèmes étaient
encore trop loin pour être atteintes par ces flèches désespérées ! Elles
allaient retomber dans l’eau et s’éteindre, inutiles.
Mais, avec
une précision qui aurait enchanté Akébo le Grand, les traits enflammés
plongèrent sur les dizaines d’épaves à l’abandon. Ce que les traîtres de Maryab
ignoraient, c’était que toutes étaient chargées de paille, de branchages, de
vieille laine, de tout ce qui pouvait s’enflammer aisément. Et surtout de
grosses jarres d’huile de camphre mêlée de bitume !
Aussitôt
atteintes par les flèches, les barques s’enflammèrent avec de petits éclats
scintillants.
Sur la
rive on demeura bouche bée, les yeux écarquillés. Sur les birèmes, les
capitaines ennemis froncèrent les sourcils.
Quelle
était cette nouvelle mascarade ? Etait-ce avec des barques enflammées
qu’on voulait les retenir ? Dans un instant, ils allaient les pulvériser,
et l’eau ferait son office…
Mais au
même moment les vigies de poupe se mirent à hurler : « Voiles !
Voiles ! »
Deux au
nord, une au sud, sortant de l’abri des criques, apparurent enfin les trois
birèmes splendides construites en secret dans les ateliers de Sabas durant
l’hiver. Puissantes, les voiles bleues serrées pour prendre le vent de travers,
les doubles rangées de rames faisant jaillir les embruns au rythme des
tambours, deux d’entre elles fonçaient sur la flotte ennemie par le travers. La
troisième filait vers les barcasses transportant les guerriers des mukaribs de
Kamna et Kharibat qui se tenaient encore loin.
On hurla
sur le port et la plage. Les capitaines ennemis hésitèrent. La surprise passée,
ils firent la moue. Ce n’étaient que deux birèmes contre quatre. Leurs propres
navires fonçaient si vite qu’ils allaient traverser l’éparpillement des épaves
en flammes. Quelques-unes d’entre elles déjà éclataient, répandant l’huile en
feu sur les flots. Ils manœuvreraient ensuite, devant le port investi…
Mais tout
se passa si vite qu’ils n’eurent plus le choix des
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