La reine de Saba
richesses devront être dans mes
caisses. Quant à mes épouses, si elles ne sont pas encore accoutumées à
Salomon, tant pis.
— Tu
t’aveugles, soupira Natan, opiniâtre et malheureux.
— Tu
te perds, ajouta Tsadok avec dépit. Toi, le sage Salomon, tu as l’âge des pères
des pères et tu te comportes en jeune sans cervelle. Nous t’avons vu construire
ta sagesse et nous éblouir. Nous te voyons construire ta défaite et nous
accabler.
— Tsadok
dit ce qui est vrai. Continue, et nous ne pourrons plus rien pour toi.
— Ça
suffit ! Vous ouvrez la bouche et je n’entends que des jérémiades. La
vérité, c’est que vous êtes vieux, pas moi.
— Tu
auras soixante ans dans deux saisons.
— Et
alors ? Je suis Salomon, pas vous. Je suis le roi de Juda et Israël.
— Le
royaume de Juda et Israël est celui de Yahvé, pas le tien.
— Et
le jugement du Tout-Puissant n’est pas celui de Salomon.
— Si
ces mots sortaient d’une autre bouche, Tsadok…
— Crie,
ça n’y changera rien si tu ne changes pas ! Salomon baissa les paupières
sur sa colère. Ils avaient raison. Il n’avait rien à craindre d’eux. Ils
l’aimaient Si grandes que fussent ses fautes, ils le défendraient jusqu’à la
mort. La déception de le voir faible ou coupable les tuerait, mais ils lui
demeureraient fidèles.
Cependant,
ils ignoraient une chose. Lui, Salomon, se rappelait la surprise qui l’avait
saisi à la lecture de la lettre de cette reine de Saba et du chant qu’il contenait.
Elle avait
écrit :
Le
souffle des fils de l’homme, qui saura quand il
s’élève jusqu’au bleu du ciel ?
Le
souffle des bêtes, qui peut être certain de le voir dans la poussière ?
Des mots
simples. Les mots les plus justes qu’il avait lus ou entendus depuis des
années. Il en avait été profondément ému.
Existait-il,
de par le monde, une femme capable de faire chanter ainsi les mots ?
Autant que lui ? Mieux que lui ?
Une femme
auprès de qui il serait possible de contempler de près la plus grande beauté
voulue par l’Éternel ?
Qu’elle
fût si belle que les messagers en avaient les yeux illuminés, il voulait bien
le croire. La beauté de ses mots ne pouvait être solitaire.
En réponse
à son chant, il lui avait écrit :
Il n’y
a qu’un souffle pour l’homme, mais la beauté est
la respiration éternelle.
Celui
qui la voit et l’emporte dans son cœur connaît
la paix du temps.
Des
paroles sincères. Une pensée sincère, sans masque. Dure et crue. Ne pas
posséder la paix du temps, il savait ce que cela signifiait. Lui, le grand et
sage Salomon qui régnait sur tout, à l’exception du temps.
Ce que ne
pouvaient comprendre ni même imaginer Tsadok et Natan, c’était cela. Cet
effroi, cette terreur de ne plus pouvoir atteindre la beauté, de n’être plus
jamais le feu, l’origine et le spectateur de la beauté. Une douleur qui pouvait
lui tordre le cœur jusqu’aux larmes. Des larmes qu’il ne s’autorisait plus
jamais à verser, lui, le grand Salomon, roi de Juda et Israël, prince de la
sagesse, des fleurs, des oiseaux et des hommes courbés.
— Bien,
dit-il calmement. Contez-moi ce que j’ignore. Natan prit la parole le
premier :
— Deux
de tes épouses, la fille de Pharaon et la mère de Jéroboam, complotent dans ton
dos. Elles ont trouvé l’appui de Benayayou. Il promet son aide. Il promet même
de diriger ses chars contre toi. De plus, leur complot attise des jalousies. Il
en est qui songent à profiter du désordre pour fomenter d’autres révoltes. La
vérité, c’est que si tu n’y mets pas bon ordre, tu auras bientôt une meute de
fauves dans ton trop grand palais.
— Pour
Benayayou, j’avais compris, soupira Salomon.
— Et
le Temple gronde aussi, ajouta Tsadok. Les murs tremblent chaque jour d’une
nouvelle colère.
— Non !
Il est trop bien construit pour que ses murs tremblent sous les grognements des
prêtres, s’emporta Salomon. Qui l’a voulu, ce temple ? Qui l’a construit
et a usé ses jours pour qu’il s’achève ? Et sans or. Par sa seule
volonté !
— Personne
ne l’oublie. Mais ce Salomon dont tu parles, ils ne savent plus où le trouver,
répliqua Tsadok sans se laisser impressionner. La sagesse de Salomon a
construit le temple. Mais le Salomon qui plie dans sa couche mille épouses et,
pour les remercier du service, leur offre tous les sanctuaires de l’univers où
chanter leurs horreurs païennes pose la
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