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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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quand il fronce les sourcils et plisse ses lèvres épaisses, il est européen et le personnel du restaurant ne sait comment traiter pareil client. Sachant qu’il est le protégé de l’illustre M. Liu, on le sert avec déférence et s’empresse de satisfaire ses moindres désirs, le régalant de shizi tou , des boulettes de porc à la sauce de soja caramélisée, et de tian ou , ces racines de lotus sucrées accompagnées de riz fermenté.
    — As-tu une idée du métier que tu voudras exercer plus tard ? lui a demandé Oncle Liu lors de leur déjeuner mensuel, le samedi précédent. Tu viens de passer ton baccalauréat et j’aimerais savoir quelles études tu comptes entreprendre.
    Avant de répondre, Chang a pris le temps de choisir un gâteau dans le plateau qu’un serviteur silencieux a déposé sur leur table. Bien sûr qu’il a déjà réfléchi à ce qu’il souhaite faire, mais il n’est pas certain que son choix soit du goût de son tuteur.
    — Je comprends que tu n’aspires pas à la prêtrise, a poursuivi Liu Pu-zhai. Bien que j’y eusse vu la récompense de l’éducation que je t’ai donnée. Mais puisque tu n’as pas la vocation, je ne veux pas insister. Alors que veux-tu devenir ? Ingénieur, professeur, médecin ? Notre pays a besoin de tant de compétences différentes que tu as le choix.
    — Je veux aller étudier le droit au Japon, a répondu Chang d’une voix décidée.
    Déconcerté, Liu a posé ses baguettes, relevé ses lunettes sur son nez et fixé Chang d’un regard étonné.
    — Au Japon ?
    — La seule université de Shanghai est la St. John’s University, mais elle est protestante et je sais qu’elle n’accepte aucun catholique, a fortiori s’il est à moitié chinois. Il y a bien l’Institut des sciences de Xu Shu mais je n’ai aucun intérêt pour ces matières. Le seul moyen pour moi d’approcher le savoir occidental est d’aller au Japon. Là-bas, on peut étudier la médecine, le droit, la politique.
    — Je l’ai entendu dire également, mais pourquoi n’irais-tu pas plutôt à l’arsenal du Jiangnan ? a proposé Liu, très perturbé par le choix de Chang. Je préférerais que tu restes à Shanghai, près de ta mère qui a besoin de toi.
    — Non, Oncle Liu. Si je veux partir, ce n’est pas seulement pour étudier.
    — Et pour quoi d’autre ?
    — Je suis pire qu’un étranger ici, vous le savez très bien. Ni Chinois ni Blanc, je n’appartiens à aucun des deux mondes et ne suis accepté nulle part. Si vous n’étiez pas assis avec moi à cette table, personne n’accepterait de me servir et l’on ne m’aurait sans doute pas laissé entrer. Et je suis certain qu’il en serait de même dans un restaurant français ou anglais si je tentais l’expérience. On ne veut de moi ni d’un côté ni de l’autre. Si je veux devenir quelqu’un, la seule solution est de partir.
    Joseph Liu a hoché la tête plusieurs fois. Il connaissait parfaitement les difficultés qu’affrontait en silence le fils de Charles.
    — Je dois reconnaître que ta décision est courageuse. Mais pourquoi le droit ? a-t-il questionné, curieux de savoir les raisons de ce choix.
    — Vous venez de dire vous-même que la Chine avaitbesoin de compétences, Oncle Liu. Le jour où elle acceptera de se moderniser, il lui en faudra encore davantage. Notamment des avocats capables de dire le droit, de rédiger des lois, de défendre les gens mais surtout le pays face aux Occidentaux avec les mêmes armes qu’eux. C’est peut-être parce que nos lettrés ne connaissaient pas le droit des Européens qu’ils ont dû signer les Traités inégaux.
    — Non, c’est parce que, dans ces circonstances-là, la loi du plus fort prime, et non le droit, a corrigé Liu Pu-zhai. Si je te comprends, tu veux être de ceux qui comptent moderniser la Chine. C’est très louable et je t’approuve. Mais cela signifie que tu vas devoir faire de la politique. Est-ce vraiment cela que tu recherches ? Tu as dix-neuf ans et aucune expérience.
    Chang s’est rapproché de son tuteur et lui a répondu à voix basse.
    — J’ai entendu parler d’un groupe d’étudiants chinois à Tokyo qui avait des projets pour notre pays, Oncle Liu.
    — Quels projets ?
    — En finir avec les Qing et instaurer une république.
    — C’est très dangereux ! Même notre ministre réformateur Li Hongzhang ne veut pas aller aussi loin. Et il a raison. La Chine est trop immense pour risquer des changements

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