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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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CharlesEsparnac : le mari qu’il lui a trouvé quand Charles l’a délaissée, l’argent qu’il lui a donné pour lui permettre de garder son rang et sa petite maison des Jardins de l’Ouest, et sa prise en charge totale de Chang dont il est devenu le tuteur légal. La seule condition de son soutien était qu’elle ne révèle jamais qui était le père de son enfant.
    Chang, lui, le sait parfaitement. Il conserve le souvenir du visage de Charles Esparnac et se rappelle encore ce soir tragique où il est venu les voir à l’improviste et où sa mère l’a chassé. Comment pourrait-il oublier ses yeux qui flamboyaient dans la nuit et ce geste qu’il avait retenu de la frapper ? Il sait aussi que son père est mort assassiné, ce même soir, et a tout retenu de ce que Joseph Liu lui a raconté de cet homme venu de si loin pour le concevoir mais qui l’abandonna quand il devint un père de famille respectable. Il n’ignore pas qu’il lui ressemble étrangement, qu’une part de lui-même – son impétuosité, sa curiosité, son mépris des conventions – tire son origine de ce Français et quand sa mère, parfois, le regarde d’un drôle d’air, il devine qu’elle voit Charles à travers lui. Il est grand comme l’était le Français, il a ses yeux, profonds et noirs, et surtout ses cheveux indisciplinés qui le distinguent tellement de ses condisciples à la coiffure raide. Pourtant Chang porte ce métissage comme une croix.
    — Non, je ne l’accepte pas, répond Chang. Que ces imbéciles l’acceptent ou non, je suis un Han et un Blanc. Et c’est grâce à cela que je vaux plus qu’eux. S’ils ne veulent pas le comprendre, tant pis. Les jésuites ont beau leur apprendre les vertus chrétiennes, ils sont aussi cruels que les Chinois les plus primitifs. Derrière le vernis occidental, ils resteront toujours des barbares. Moi pas.
    — Ce sont les guizi , les diables étrangers, qui sont les barbares ! proteste sa mère. Pas nous. Notre civilisation est depuis longtemps supérieure à la leur.
    —Alors pourquoi ce sont les Européens qui sont installés chez nous et non l’inverse ?
    Lian ne sait quoi répondre.
    — Tu dois le savoir, toi qui étais heureuse d’en avoir un dans ton lit, continue Chang. Et tu n’as pas protesté quand il t’a voulue pour lui seul ni quand il t’a offert cette maison et permis d’avoir un rang, des domestiques que tu n’aurais jamais eus sans lui. Ni sans moi que tu lui as fait sans le prévenir…
    La gifle part d’un coup et imprime sur la joue imberbe du jeune homme l’empreinte de la main de Lian.
    — Tu n’as pas honte de me parler ainsi ? s’indigne-t-elle. Qui es-tu pour prétendre me juger ? Qui t’a mis au monde et élevé, ce maudit Français ou moi ? Et qui t’a abandonné, lui ou moi ?
    Chang baisse les yeux et s’en veut d’avoir bêtement provoqué sa mère. Il lui doit la vie et le respect. Mais il ne veut ni renier son père, comme elle l’exige, ni chasser de son esprit les rares images encore vivaces qu’il a de lui. L’homme qui a pris sa place dans le lit et le cœur de sa mère, et qu’il appelle M. Wu, n’a jamais pu remplacer ce père mort trop tôt et à qui il aurait tant voulu parler. Comme il aimerait, aujourd’hui, parler à son frère et à sa sœur qui ignorent tout de son existence et qu’il rêve de connaître. Il se demande souvent à quoi ils ressemblent. Ils ont maintenant quinze et treize ans, lui a dit récemment Oncle Liu. Peut-être les a-t-il croisés sans le savoir quand il est allé se promener la dernière fois sur le Bund ou dans les rues de Zi Ka Wei, à la sortie des écoles, quand les amah attendent les enfants des Blancs dans les rickshaws. Lui, il rentre à pied jusqu’à la ville chinoise, sauf quand Oncle Liu vient le chercher, le premier samedi de chaque mois, pour l’emmener déjeuner dans son restaurant favori, Prospérité pour tous , sur Yunan Street.
    Ce jour-là, Chang s’habille à l’européenne et discipline autant qu’il le peut ses cheveux rebelles. Tout le distingue alors des clients chinois du restaurant. Plus grand que la plupart d’entre eux, mais les yeux bridés comme les leurs, il est un étrange spécimen, un jeune homme comme on n’en a jamais vu dans cette ville, un mélange de deux origines dont nul n’imaginait qu’elles puissent un jour mêler leur sang. Quand il mange avec ses baguettes ou aspire sa soupe à grand bruit, Chang est chinois. Mais

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