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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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tôt. Assis l’un en face de l’autre, ils sont restés muets de longues minutes. Laure a bien essayé de capter le regard de Marc mais il garde obstinément les yeux baissés. Alors, elle a fini par lâcher cette question qui a tout d’une supplique. Depuis qu’elle l’a revu, le moindre de ses gestes a pris une signification entièrement nouvelle. Elle qui se sentait sûre d’elle-même, conquérante, intrépide et manipulatrice, se retrouve brusquement sans arme face à son amour de jeunesse.
    Devant la tête toujours baissée et le mutisme de Marc, Laure se sent perdre pied. Quelques heures plus tôt, elle était encore en compagnie d’Ichirô. Mais leur dispute a été aussi foudroyante que définitive. Emporté par les succès qu’elle lui apporte à peu de frais, il lui a demandé d’accepter l’invitation de sa dernière conquête, Yu Xiaqing, afin de s’introduire chez lui et de lui subtiliser undocument où il serait fait mention de Yuan Shi-kai. « Pourquoi ? a-t-elle demandé. – Faute de preuve matérielle, mes chefs, à Tokyo, refusent de croire qu’il sera le président et non Sun Yat-sen qu’ils ont soutenu », a-t-il expliqué. Vexée que l’on mette sa parole en doute, Laure a protesté, elle n’a pas inventé cette histoire, pour qui la prennent-ils ? Ils n’ont qu’à venir parler directement à Yu Xiaqing s’ils veulent être sûrs de ce qu’elle avance. Et, franchement, elle mérite des remerciements plutôt que ce traitement indigne d’elle. Ichirô a insisté, affirmé qu’il était obligé de lui demander ça, qu’il lui aurait bien épargné cette mission mais qu’il ne peut pas faire autrement. « Tu veux faire de moi une voleuse ? s’est-elle écriée, scandalisée. Pour qui me prends-tu ? – Pour ce que tu es : une espionne qui travaille pour moi », a-t-il répliqué avec calme. Ce fut comme si elle était dégrisée d’un coup. Comment osait-il ? Espionne, elle ? Non, elle s’amusait, c’est tout, c’était sa façon de l’aimer, lui Ichirô, ce n’était pas sérieux. « Je suis une Esparnac, Ichirô. Je t’ai dit un jour que c’était pour toi et personne d’autre que j’acceptais de faire ce que tu me demandais, dit-elle. Or tu viens d’avouer qu’en réalité tu n’as fait que m’utiliser, moi qui croyais que tu m’aimais. J’ai été stupide, Ichirô, et je t’en veux encore plus de m’avoir laissée l’être. » Pris de court, Ichirô n’a pas su quoi répondre. Elle l’a regardé, s’est plantée devant lui et l’a giflé avant de lui tourner le dos et de partir en abandonnant toutes ses affaires derrière elle.
    — Marc, je t’en prie, réponds-moi, implore-t-elle. Je t’aime toujours, mais toi veux-tu encore de moi ?
    Comme s’il s’apprêtait à prendre une décision irrémédiable, Marc Liu relève lentement la tête et la regarde enfin. Les yeux de Laure n’ont jamais été aussi noirs. Deux puits de lave dans ce visage de madone brune qui l’a toujours fasciné et qui fait naître en lui cette vague detendresse qu’il redoutait. Oui, il l’aime, mais d’un amour impossible, sans désir charnel ni fusion des sens. Comment le lui dire sans la blesser ?
    — Écoute-moi, Laure. Oui, je t’aime mais comme ma meilleure amie, ma sœur.
    — Comme ta sœur ?
    — C’est ce que tu as été pour moi depuis ta naissance. Et je ne parviens pas à aller au-delà.
    Laure sourit doucement.
    — Je veux bien être aussi ta sœur, dit-elle.
    — Tu ne comprends pas. J’ai une maîtresse, la musique, et un compagnon, le piano.
    — Je leur ferai de la place.
    — Dieu m’a curieusement fait. D’un côté, il m’a donné le talent de jouer, de l’autre il m’a retiré la possibilité d’aimer les femmes, avoue-t-il en désespoir de cause. Dieu est parfois cruel dans les épreuves auxquelles il nous soumet.
    Laure le dévisage, incrédule.
    — Tu ne peux pas, disons, avoir d’enfant, c’est cela ?
    — À peu de chose près, non.
    — Je t’aimerai quand même, dit-elle avec une tendresse infinie.
    Marc se demande si elle a compris qu’il est inverti mais renonce provisoirement à aller plus loin dans les confidences. Elle lui témoigne un tel amour qu’il s’interroge. Après tout, pourquoi ne vivrait-il pas avec elle, pourquoi ne se marierait-il pas avec elle qu’il connaît si bien et qu’il aime à sa façon ? Tout homme, même un homme comme lui, a besoin d’une femme au moins pour paraître

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