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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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sans lui faire perdre la face, qu’ellene peut pas décemment céder à ses avances mais que, peut-être, la prochaine fois, elle pourrait bien accepter.
    — Cher Yu Xiaqing, je me sens rassurée par ce que vous venez de me confier, dit-elle en se levant. Je sais que ce ne sont pas des affaires qui regardent les femmes et je vous remercie de m’avoir fait confiance.
    — Vous partez ? questionne le Chinois, le visage soudain défait.
    — Hélas ! Je le regrette infiniment mais je dois participer au conseil d’administration de l’orphelinat Esparnac à quinze heures et je suis déjà en retard.
    Yu Xiaqing masque du mieux qu’il peut sa déception puis reprend rapidement espoir lorsqu’il entend Laure lui murmurer à l’oreille en posant sa main sur son épaule :
    — Nous allons nous revoir très vite et je vous accorderai tout mon temps pour faire mon éducation sur les subtilités de la politique chinoise. Je serai une élève très attentive, je vous le promets.
     
    *
     
    Comme elle l’a deviné, Ichirô exulte lorsqu’elle lui révèle tout ce qu’elle a appris. Rarement il a été aussi expansif : il la couvre de baisers, la serre contre lui comme s’il allait la perdre, la félicite bruyamment, l’embrasse encore.
    — C’est magnifique ! Tu as fait un travail exceptionnel. Tu n’imagines pas à quel point ce que tu viens de me raconter est important pour Tokyo. Personne là-bas, je le sais, n’imagine que le véritable instigateur de la révolution est Yuan Shi-kai. Et c’est moi qui vais le leur annoncer ! Grâce à toi, je passerai bientôt capitaine de vaisseau.
    Une heure plus tard – leur étreinte a été plus brève que d’ordinaire car Ichirô voulait rédiger puis coder sonrapport et l’envoyer en urgence à Tokyo –, Laure se retrouve dans les rues, légèrement étourdie. À la fierté d’avoir réussi sa mission au-delà de toute espérance se mêle le trouble très délicieux qui est le sien après avoir vibré dans les bras d’Ichirô. Elle l’aime au-delà du raisonnable, elle le sait, mais qui lui demande d’être raisonnable ? Son frère ? L’est-il lui-même ? Certainement pas et elle se garde bien de le juger. Sa mère ? Olympe lui a déclaré que sa conduite peu orthodoxe pour une jeune femme de la bonne société la réjouissait plutôt et qu’elle reconnaissait en elle la digne fille de son père, si peu soucieux des convenances. Au souvenir de ce père qu’elle a si peu connu, une soudaine nostalgie s’empare de Laure et elle se demande fugitivement ce qu’il aurait pensé d’elle, de ce qu’elle fait, de ce jeu singulier qu’elle joue avec ces hommes qu’elle séduit les uns après les autres pour leur tirer les vers du nez.
    L’animation de Nankin Road la dégrise peu à peu et elle prend tout son temps pour regarder les vitrines des magasins qui viennent de s’ouvrir quand, soudain, elle se fige. Sur un mur, une affiche, un visage qu’elle reconnaît et ces mots qu’elle lit, le cœur battant : « 26, 27 &  28 mars 1911, trois concerts exceptionnels du pianiste Marc Liu qui interprétera la sonate Hammerklavier opus 106 de Beethoven et les nocturnes de Chopin. »
    Marc Liu, son amour de jeunesse, est revenu à Shanghai.
     

 
     
     
     
     
     
     
    37.
     
     
     
    Dans la salle de concert du Club allemand, Laure applaudit à tout rompre, transportée comme tous les spectateurs par le récital de Marc Liu. Sur l’estrade, à quelques dizaines de mètres d’elle, il vient d’achever quasiment debout la fugue de la sonate en si bémol majeur Hammerklavier de Beethoven et un tonnerre d’applaudissements envahit la salle. La puissance de la musique, la maîtrise pianistique de Marc, mélange de sensibilité et de technique, de force et d’inspiration ont stupéfié tout le monde. Le jeune homme gauche qui l’a quittée pour vivre sa vie de pianiste en Californie a fait place à un trentenaire sûr de lui, impérieux presque dans son queue-de-pie noir.
    Rêve-t-elle ou bien les yeux de Marc viennent-ils de croiser les siens en s’inclinant pour saluer la salle ? Non, puisqu’en se redressant c’est bien elle qu’il fixe à nouveau. Sur ses bras nus, la chair de poule hérisse sa peau, son cœur est en pleine folie, elle voudrait crier son nom, mais sa gorge nouée empêche le moindre son d’en sortir. Un bonheur fou l’envahit, les applaudissements durent encore, elle ne peut plus attendre, elle veut le voir face à

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