La reine du Yangzi
Yat-sen ?
C’est volontairement que Laure cite le nom de Sun comme Ichirô le lui a demandé pour mettre le Chinois sur cette piste et découvrir ce qu’il sait de lui. Yu Xiaqing a un sourire en coin et allume sa cigarette à son tour. Elle le sent hésiter mais ne se départ pas de son sourire le plus attendrissant, celui, elle l’a déjà constaté, qui met les hommes en confiance et les conduit à vouloir se valoriser pour mieux la séduire. Après tout, doit-il se dire, quel mal y a-t-il à faire quelques confidences à une jeune femme qui s’intéresse à l’évolution politique du pays mais de façon trop superficielle pour présenter un danger ?
— Vous savez, ma chère, explique Yu Xiaqing, nous sommes quelques-uns à Shanghai, à Pékin, ou à Canton à espérer tous ces changements. Nous détenons l’argent, le commerce, l’industrie et nous avons surtout la volontéd’arriver à nos fins. Tout est question de méthode, je vous l’ai dit. Nous nous sommes donc organisés et préparés depuis longtemps. Aujourd’hui, je peux vous dire que nous sommes prêts.
— Vous êtes en train de m’annoncer que Sun Yat-sen va lancer la révolution ?
— Exactement. Au printemps, à Canton, pour commencer, puis dans le Sud et à Hankeou, à l’automne.
— Et quand, à Shanghai ? Je ne voudrais manquer ça pour rien au monde.
Yu Xiaqing éclate à nouveau de rire. Décidément, cette Française lui plaît.
— Je vous préviendrai, ma chère.
— Ce sera dangereux ?
— Pour nos amis étrangers, non, rassurez-vous. Nous sommes là et Sun Yat-sen ne lancera aucune action violente contre les Longs Nez qui ont fait la fortune de notre ville.
— Pourquoi ? questionne-t-elle, soudain intriguée.
— Parce qu’il n’en a ni le pouvoir ni les moyens ! s’esclaffe Yu Xiaqing. Sun n’est qu’un faire-valoir !
Spontanément, Laure éclate de rire mais c’est pour dissimuler sa surprise devant l’énormité de ce que vient de lui révéler le Chinois.
— Chère Laure, je vous ennuie avec ces histoires. Tout cela doit vous paraître bien ennuyeux, s’excuse Yu Xiaqing.
— Pas du tout. La Chine est mon pays et Shanghai ma ville natale. Cela fait de moi une vraie Chinoise, même si je n’ai pas les yeux bridés. Mais j’ai d’autres atouts, n’est-ce pas ? ajoute-t-elle en se penchant en avant.
Yu Xiaqing rougit. Il maîtrise d’ordinaire ses émotions, mais cette fille le trouble tellement qu’il ne trouve rien de décent à répondre.
— J’espère seulement que cette révolution ne va pas sefaire au détriment de notre présence, poursuit Laure. Je dois dire qu’après ce que vous venez de me raconter j’appréhende un peu l’avenir.
Yu Xiaqing prend sa main et la porte à ses lèvres.
— Vous n’avez rien à craindre, assure-t-il. Nous avons tout prévu. Sun, ses réformateurs et ses sociétés secrètes croient qu’ils font la révolution pour eux alors qu’ils la réalisent pour nous. Mais ils ne le savent pas… En fait, nous nous servons d’eux pour débloquer une situation politique qui n’a que trop duré. Avant la fin de l’année, vous verrez le régent et les Qing renoncer au trône, puis vous assisterez à la naissance de la République chinoise. Ensuite nous apparaîtrons et prendrons le pays en main. Et nous n’avons aucun désir de chasser les étrangers de notre sol.
— Nous ? tente Laure, le cœur battant.
— Oui, nous, les partisans de l’ancien chef de l’armée Yuan Shi-kai. Pour ne rien vous cacher, le premier président de la République chinoise ce sera lui, Yuan.
Les minutes qui suivent paraissent interminables à Laure. Elle n’a qu’une hâte, retrouver Ichirô et lui raconter tout ce qu’elle vient d’apprendre. Mais Yu Xiaqing s’attarde. Curieusement, il a l’air soulagé comme s’il venait de se libérer d’un aveu, à moins qu’il ne soit gagné par l’ivresse d’avoir montré l’étendue de son pouvoir à la jeune femme qu’il convoite depuis des mois. Son sourire satisfait étire encore ses yeux très bridés qui restent fixés sur Laure, comme s’il attendait la réponse à une question qu’il n’a pas osé formuler mais qui, tout au long du déjeuner, n’a cessé de le hanter. Laure y lit du désir brut et sait qu’il va maintenant lui proposer de venir se rafraîchir dans sa somptueuse demeure. Elle doit prendre les devants. Moment très délicat où elle doit faire comprendre à son interlocuteur,
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