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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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face, le toucher, lui parler. Marc quitte la scène. Elle se précipite hors de la salle, bouscule tout le monde, trouve le chemin de la loge, écarte ceux qui l’empêchentd’atteindre l’homme qu’elle vient de retrouver après une si longue absence, frappe deux coups à la porte, n’attend pas la réponse et entre.
    Il est là, assis dans un fauteuil, les traits creusés de fatigue. Derrière lui, debout, Marie-Thérèse a posé sa main sur l’épaule de son fils et Joseph Liu sourit à peine.
    — Marc…, commence-t-elle.
    Il l’interrompt d’un geste et la regarde comme s’il n’attendait qu’elle.
    — Ne dis rien, Laure, murmure-t-il. Pas encore. Je reviens de si loin… Cette sonate est si herculéenne, si étrange, si peu humaine parfois que je n’en sors jamais indemne. Laisse-moi le temps.
    Son élan brisé, Laure reste interdite. Tête baissée, elle n’ose regarder ni Joseph ni Marie-Thérèse. Elle leur en veut tellement de ne pas lui avoir annoncé que Marc serait en ville pour cette série de concerts. Un coup d’œil lui suffit pour constater que les événements qui secouent la Chine en ce moment ont laissé leurs marques sur le visage de Joseph, comme le lui a expliqué sa mère. Mais Marie-Thérèse, elle, aurait pu la prévenir même si elles se voient moins fréquemment qu’autrefois. Il est trop tôt pour se poser de questions, se dit-elle, consciente que son amour pour Marc est toujours vivace en dépit de cette décennie d’absence et de la passion dévorante qui l’a conduite dans les bras d’Ichirô. Marc possède toujours cette grâce qui la fait trembler depuis qu’elle est enfant et qui, aujourd’hui, la trouble infiniment.
     
    *
     
    — L’armée s’est soulevée à Wuhan ! s’exclame Patrick O’Neill. Je rentre du Shanghai Club, le télégramme vient d’arriver, daté d’aujourd’hui 10 octobre 1911.
    —Après Canton au printemps, Wuhan à l’automne…, murmure Olympe. Exactement ce que Laure nous a prédit en mars dernier. Je me demande où elle a pu savoir si longtemps à l’avance ce qui allait se passer.
    — Ta fille a une vie mondaine si agitée, elle fréquente tellement de monde qu’elle a dû entendre des rumeurs sur ce soulèvement.
    — Des rumeurs qui se révèlent exactes, corrige Olympe.
    — Peu importe. C’est le début de la révolution et tout ce que je vois, c’est qu’elle se rapproche de chez nous !
    — Ne t’inquiète pas. Laure nous a dit que nous n’avions rien à craindre. Les étrangers ne risquent rien car ils ne sont pas visés. Je vais appeler Joseph au téléphone pour lui proposer de passer prendre le thé et nous dire ce qu’il en pense. Il adore venir ici avec « son » tramway.
    Joseph est moins actif qu’autrefois quand ils dirigeaient tous les deux la Compagnie, et elle se demande parfois à quoi il occupe ses journées, lui qui est si discret sur ses occupations privées. Elle a bien entendu dire qu’il était à la tête d’une de ces associations de bienfaisance dont on dit qu’elles sont surtout des sociétés secrètes, mais elle n’en a jamais parlé avec lui. Une pudeur un peu idiote l’a toujours retenue de lui poser des questions trop précises et Marie-Thérèse n’en dit pas davantage.
    — Et Louis, il en pense quoi, d’après toi ? interroge Patrick qui a du mal à conserver son sang-froid face aux certitudes d’Olympe. Ce type d’événements n’est jamais bon pour les affaires et la Compagnie pourrait en souffrir comme toutes les grandes sociétés de Shanghai. Il faudrait que tu lui en parles.
    — Je lui fais confiance pour affronter la situation. Jusqu’à présent il n’a pas fait d’erreur. Et je dois dire que son idée d’importer des voitures automobiles s’est révéléeparticulièrement judicieuse. Tout le monde en veut une pour aller se pavaner sur Bubbling Well Road.
    — Toi la première !
    — Je ne me pavane pas, Patrick, je me déplace. Et j’adore conduire cet engin.
    — Seulement après que je l’ai mis en route pour toi à la manivelle !
    Olympe éclate de rire. Elle est bien obligée de reconnaître qu’elle a besoin de lui ou d’un autre homme pour faire démarrer sa De Dion Bouton, ce qui chaque fois la met en rage.
     
    *
     
    — Veux-tu de moi ? questionne Laure.
    Elle a rejoint Marc chez les Liu et Marie-Thérèse les a laissés seuls dans le salon où le grand piano à queue de son fils a été livré des États-Unis quelques jours plus

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