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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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et bénisse votre union.
    — Marc ne veut pas. Et moi non plus, Oncle Joseph, répond Laure. Il a bientôt quarante ans, moi trente-cinq et nous avons passé l’âge des robes blanches et des fracs. Et tu sais parfaitement que je suis une mécréante comme papa qui ne croyait pas à grand-chose.
    — Mais Marc ? C’est contraire à toutes ses convictions.
    — Non, et il te le dira lui-même : il ne souhaite pas de mariage religieux pour le moment et pense que l’on pourrait passer devant le curé plus tard. Quand nous serons rentrés et installés.
    En écoutant sa sœur, Louis devine qu’elle n’a pas voulu transformer en événement mondain un mariage qui est moins d’amour que de raison : peu de gens ignorent, à Shanghai, la sensibilité particulière de Marc Liu et sontempérament d’artiste, euphémismes pour évoquer ses mœurs, et Laure a probablement refusé de passer pour une idiote ou une intrigante devant toute la communauté blanche de la ville. Et, connaissant Marc, il imagine qu’il a certainement voulu voir comment se déroulerait la vie commune avec Laure avant de s’engager définitivement avec elle devant Dieu, de peur de commettre un sacrilège. Il sourit à sa sœur : comme lui, Laure aime prendre des risques un peu fous. Se marier avec un homosexuel ! Il n’y a qu’elle pour l’oser.
    Un peu comme lui qui est, sans nul doute, le seul patron de Shanghai frayant avec les ouvriers. Au point – et il en rit encore – d’avoir été l’un des fondateurs du Parti du travail. Mais aura-t-il encore l’occasion de rire si la guerre dure et s’il est mobilisé pour aller se battre en France ?
     

 
     
     
     
     
     
     
    40.
     
     
     
    Depuis le début de la guerre, il y a trois ans, Shanghai vit au rythme des offensives, contre-offensives, semi-victoires ou semi-défaites qui, là-bas en Europe, se paient chaque fois au prix de dizaines de milliers de morts. Les actualités cinématographiques montrent aux Shanghaiens effarés les tranchées, les combats aériens, les énormes canons envoyant la mort à des kilomètres. Ils ont vu à l’écran les images saccadées de la fournaise de Verdun, de Douaumont, de la bataille de la Somme. Certains sont rentrés combattre en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, d’autres ont choisi de rester pour défendre les concessions contre les seigneurs de la guerre qui se disputent des provinces entières et chassent de chez eux des milliers de paysans ou d’habitants de villes dévastées.
    Depuis des semaines, les réfugiés arrivent de toute la province et, au-delà, de toute la Chine orientale, du Jiangsu, du Zhejiang, de l’Anhui et même du Henan. Ils débarquent par le fleuve, la route, le train, épuisés, sales, hirsutes, squelettes vivants parfois, blessés souvent, avec des baluchons ou des coffres en bois attachés sur leur dos, des enfants au visage égaré accrochés à leurs vêtements. Ils arrivent, ployant sous la misère, l’absurdité du monde et de leur vie, la colère du Ciel qui a lâché tous ses démonssur la Chine. Par dizaines de milliers, ils viennent chercher refuge à Shanghai, chassés par les combats meurtriers qui opposent les seigneurs de la guerre du Sud à ceux du Nord.
    Debout devant la plaine où ils s’entassent, innombrables, après les faubourgs sud de la ville, Olympe se sent impuissante. Le monde est devenu fou. En Europe, la guerre s’éternise, meurtrière et sans issue. Depuis trois ans, elle fauche sans répit la jeunesse de tout le continent, dévaste les villes du nord de la France, il y a des millions de morts et d’estropiés, d’innombrables familles détruites. En ce mois de mai 1917, les journaux parlent d’offensives meurtrières, de soldats sacrifiés par fournées entières sur le chemin des Dames, de mutineries dans les armées, de destructions sans nombre. Ils affirment aussi que les Américains vont entrer en guerre à leur tour et envoyer des troupes en France. Mais ici, en Chine, ce n’est guère mieux. Et Olympe se sent totalement démunie devant ces cohortes de réfugiés qui, tous les jours, arrivent dans la ville chinoise et campent comme ils peuvent, troupeaux misérables entassés dans des champs boueux sous les pluies torrentielles. Avec les femmes de son orphelinat et les sœurs auxiliatrices, elle fait le tour des campements pour apporter tout ce qui peut sauver des vies – du lait, des vivres, du réconfort, des vêtements –, mais ils sont si

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