La reine du Yangzi
suppose que tu nenous as pas convoqués pour nous faire ce genre de leçons, s’impatiente Olympe.
Louis jette un coup d’œil peu aimable à sa mère.
— Évidemment, maman, répond-il, énervé. Si vous êtes là, c’est pour répondre à la question simple que je suis dans l’obligation de vous poser : me faites-vous toujours confiance pour diriger l’entreprise dans les circonstances actuelles ou voulez-vous nommer quelqu’un d’autre à la tête de la Compagnie ? Vu les circonstances, et si la France perd la guerre, j’aurai inévitablement des décisions difficiles à prendre et je veux pouvoir le faire sans me demander chaque fois si vous serez ou non d’accord. Dans le cas contraire, je suis prêt à remettre mon mandat à la personne de votre choix.
Olympe regarde son fils avec étonnement.
— Quelle drôle de question ! Pourquoi veux-tu que nous ne te fassions plus confiance ? Et je parle au nom de tous, je crois. Tu as parfaitement dirigé la Compagnie du Yangzi jusqu’à présent et je ne vois pas pourquoi nous aurions des doutes sur ta capacité à le faire par gros temps.
Joseph Liu, Patrick O’Neill, Ardain approuvent d’un hochement de tête.
— Confiance renouvelée ! conclut Olympe avec un grand sourire. La motion est adoptée.
— Et moi, on ne me demande pas mon avis ? demande Laure d’une voix pointue, en lissant nonchalamment ses longs cheveux noirs. Je ne compte pas ?
— Bien sûr que si, s’excuse Olympe. Tu n’es pas d’accord avec nous ?
— Si, mais je voulais vous rappeler que j’aurais très bien pu ne pas l’être.
— Ce qui n’aurait rien changé puisque tu es actionnaire minoritaire.
— Je le sais.
—À quoi bon, alors ? demande Louis.
— En fait, j’ai moi aussi une communication importante à faire et je profite que vous soyez tous réunis.
— Très bien, mais comme elle n’est pas prévue à l’ordre du jour, il n’en sera pas fait mention dans le procès-verbal de séance.
— Aucune importance. Je voulais juste vous informer que je vais me marier, répond Laure.
À voir la tête de son frère qui s’attendait à tout sauf à cette nouvelle, la jeune femme éclate de rire.
— Quoi ? Et tu nous l’annonces comme ça ? s’indigne Louis, décomposé.
— Comment aurais-tu voulu que je fasse ? En t’envoyant un carton par la poste ?
— Mais avec qui, d’abord ?
— Et quand ? renchérit Olympe.
— As-tu bien réfléchi ? questionne Patrick.
Laure rit de plus belle, enchantée d’avoir créé la surprise et d’avoir brisé ce consensus exaspérant autour de son frère. Ils ont l’air tellement affolés, d’un coup.
— Vous n’avez pas encore deviné avec qui, depuis le temps que vous nous voyez ensemble ? Êtes-vous aveugles à ce point ? Marc, voyons ! Mon pianiste favori !
Le sourire éblouissant qui éclaire soudain le visage de Joseph Liu lui confirme qu’elle a fait au moins un heureux avec cette annonce et elle se lève pour aller l’embrasser.
— Je me demandais quand vous alliez enfin vous décider, dit-il d’une voix tremblante. Je voudrais tant avoir un petit-fils avant de mourir.
— Quelle merveilleuse nouvelle ! s’exclame Olympe en prenant les mains de sa fille. Il était temps à ton âge ! Moi aussi, j’ai envie d’avoir des petits-enfants.
Seul Louis reste muet. Il continue d’ouvrir des yeux éberlués sur sa sœur, en se demandant si elle sait que sonfutur mari n’éprouve aucune attirance pour les femmes et qu’il ne pourra peut-être pas lui faire d’enfants. Mais quand elle lui lance un clin d’œil, il comprend qu’elle n’ignore rien des singularités de Marc et qu’elle les accepte.
— Pourquoi maintenant, si brusquement ? demande-t-il.
— Parce que nous partons dans quinze jours pour Hong Kong, Macao et Canton, puis les Philippines et le Japon. C’est la première grande tournée de Marc en Asie et il veut que nous soyons mariés avant de partir.
— Mais les bans, l’envoi des cartons d’invitation, ton trousseau ? s’inquiète Olympe.
— Maman, nous ne ferons rien de classique : nous ne nous marierons pas à l’église, seulement au consulat, suivi par une petite réception au Trianon. Entre nous.
— Pas de mariage religieux ? s’écrie Joseph. Vous ne pouvez pas me faire ça ! Vous êtes baptisés tous les deux et ce sera le premier mariage d’un Han avec une Française. Il faut absolument que l’Église célèbre cet instant
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