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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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raconté qu’il devait travailler énormément. Ce que je n’aurai pas le temps de faire. Ma place est à côté de mon mari et de mon petit garçon.
    — Dans ces conditions, et comme il est hors dequestion de confier la direction de la Compagnie du Yangzi à un inconnu, je ne vois qu’un seule solution, vous, Olympe, propose Joseph.
    — Vous plaisantez ? proteste-t-elle. Je suis beaucoup trop vieille pour reprendre les rênes de la société.
    — Pas tant que cela. À peine soixante-six ans, si je ne m’abuse. En Chine, on dirait que vous êtes dans la force de l’âge.
    — Mais cela fait des années que je n’ai pas regardé de près la marche de la maison, je faisais confiance à Louis et me contentais de percevoir les dividendes, ou presque.
    — Rassurez-vous, j’ai suivi ça de près et je peux vous garantir que vous n’aurez aucun mal à vous y retrouver. Louis a bien fait plusieurs acquisitions ces dernières années, mais rien que vous ne puissiez assumer et développer. Et je serai là pour vous aider. Comme au bon vieux temps. Cela ne vous dit pas de reformer avec moi le duo redoutable qui faisait trembler tous les Anglais du Bund ? demande-t-il avec un sourire malicieux.
    D’un coup, Joseph a l’air rajeuni de dix ans. Et Olympe comprend brusquement que, pendant toutes ces années où Louis a présidé leur société, il s’est senti écarté et s’est réfugié dans une réserve hautaine dont il a été le premier à souffrir.
    — Je ne sais pas si Patrick appréciera que je reprenne du service, dit-elle avec une moue dubitative.
    — Argument irrecevable, vous savez parfaitement qu’il fait toujours vos quatre volontés. Et rien ne vous empêche de le nommer directeur adjoint si cela peut le tranquilliser.
    — Après tout, pourquoi pas ? Mais à condition que nous recherchions dès maintenant un successeur digne du fondateur de la Compagnie, conclut-elle en se retournant vers le portrait peint de Charles Esparnac qui orne le mur derrière elle. 

 
     
     
     
     
     
     
    43.
     
     
     
    Louis a rarement été aussi heureux. Depuis qu’il a quitté la Compagnie du Yangzi, il a l’impression d’être enfin lui-même. D’être celui qu’il a toujours voulu être. Délivré d’une famille qu’il retrouvera un jour, il le sait, mais dont il a besoin de s’écarter quelque temps pour vivre sa vie. Délivré aussi d’un nom trop lourd à porter et dans lequel il ne se reconnaît plus. Il éprouve ce sentiment très intime de se trouver désormais à la place qui lui était destinée. Une place non pas attribuée par la naissance, comme celle qu’il a occupée si longtemps à la tête de la société familiale, mais conquise de haute lutte, librement choisie, confusément désirée d’abord puis voulue avec certitude. Une place qu’il s’est construite seul, sans l’aide de quiconque et pour laquelle il a renoncé à tout. La présence d’Emma près de lui et son engagement politique suffisent à son bonheur. Et il a le sentiment très vif qu’il est en train d’accomplir son destin.
    Tout est venu, il s’en souvient, de sa traversée solitaire de la vieille Chine encore médiévale lorsqu’il éprouva une empathie chaque jour plus forte pour ces multitudes qu’il croisait, misérables et résignées, pressurées par des propriétaires enrichis ou des fonctionnaires sans pitié. Les routes de Chine lui révélèrent alors sans le savoirl’absurdité de l’existence, la précarité de la vie et l’égoïsme des hommes.
    Oui, sa place est là, au milieu de ces révoltés qui manifestent aujourd’hui par dizaines de milliers dans les rues du Pudong. Tout a commencé avec la grève décrétée par les employés de la British American Tobacco sur le Pudong, la rive orientale du Huangpu, et qui a entraîné celle des ouvriers des usines métallurgiques, des manufactures et surtout des vingt mille ouvrières des filatures de Hongkou et de Zhabei. La grève n’est pas née par hasard. Des chefs syndicaux sont venus exhorter les ouvriers à réclamer de meilleurs salaires et à manifester tous ensemble pour établir un rapport de force qui obligerait les patrons anglais, américains et chinois à accepter leurs revendications. Louis a été le plus convaincant pour rallier les hésitants, organiser la manifestation, choisir le meilleur parcours, rassembler les différentes syndicats et calmer ceux qui voulaient en découdre. Les ouvriers de la British Tobacco se sont

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