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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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étonnés, au début, de voir un Long Nez venir défendre leur combat et ont cru à un piège, mais le discours enflammé de Louis les a convaincus qu’il était bel et bien de leur côté.
    — Tu les as conquis, lui a confirmé Lao Sun. Ils voient en toi le signe qu’ils ont raison de se battre : si un homme comme toi les a rejoints, c’est parce que leur cause est juste.
    Et quand ils l’ont vu écrire lui-même les slogans sur leurs banderoles, ils ont compris qu’il était vraiment l’un des leurs. Et là, au milieu de cette foule hurlante, Louis ne les déçoit pas. Il hurle avec eux sa colère, il martèle en rythme le macadam de ses pieds, il lance les slogans qu’ils répètent à tue-tête. Vêtu comme eux d’une tunique et d’un pantalon de toile grossière, Louis entraîne ses révoltés, avec eux il crie enfin sa haine des puissants, il ne se cacheplus, il gueule qu’il faut respecter le peuple et donner aux travailleurs le prix de leur travail. Au milieu de cette masse sombre, ses cheveux blonds, même coupés court comme il les porte depuis qu’il a rencontré Emma, détonnent bizarrement mais font comme un repère derrière lequel ses compagnons s’alignent et le suivent. Il est au premier rang de la deuxième vague des manifestants, plus de dix mille ouvriers qu’il entraîne comme un centurion romain à la tête des cohortes.
    Devant eux, la première vague, menée par les ouvriers de la British Tobacco, semble soudain marquer le pas. Une subite confusion éparpille leurs rangs jusque-là compacts. Louis entend des hurlements de panique, des clameurs indignées, des cris de douleur. Plus grand que les autres, il aperçoit en tête du cortège, cent mètres plus loin, une immense confusion et des groupes d’hommes armés de bâtons qui frappent aveuglément autour d’eux. Les milices patronales et les nervis de la Bande verte, redoutables briseurs de grève qui n’hésitent pas à tuer pour effrayer les ouvriers. Il aurait dû se douter qu’ils allaient se mettre en travers de leur chemin. Il y a pire : de chaque côté du cortège, des policiers chinois et sikhs avancent en colonnes serrées et se mettent à frapper, eux aussi, à coups de gourdin. On entend des râles, le bruit sourd des coups sur les crânes, les hurlements de ceux qui se retrouvent à terre et à qui l’on brise les jambes, les bras ou les côtes. En quelques secondes, la panique gagne les rangs ouvriers et Louis assiste, impuissant, à la dispersion violente de la manifestation qu’il a mis tant de soin à organiser. Soudain, des coups de feu éclatent, ici et là, de plus en plus nombreux, et se rapprochent de lui. Pour la première fois de sa vie, Louis a brusquement peur. Confronté à la violence brutale comme il ne l’a jamais été, il regrette de ne pas avoir emporté le vieux revolverde son père pour défendre sa peau si l’un de ses salauds s’en prend à lui. Nikolski, l’envoyé de Moscou, le lui a pourtant conseillé, lui qui sait par expérience que toute manifestation ouvrière est condamnée à être matée par la police et les tueurs des milices patronales. Reconnaissable entre mille, Louis rentre la tête dans les épaules mais il n’est pas question de fuir comme les autres. Au contraire, il ordonne à ses camarades de rester groupés, de faire front, de se défendre avec les bâtons de leurs banderoles.
    — N’ayez pas peur ! crie-t-il. Ne reculez pas, nous sommes les plus nombreux !
    Des coups de feu claquent à nouveau, tout près. Un homme s’effondre à quelques pas. Deux hommes armés courent vers lui, le visent. Il s’accroupit alors qu’ils tirent, derrière lui un de ses compagnons s’écroule en poussant un cri, touché à la tête. Louis se relève et dans un réflexe de survie, s’élance en espérant que les autres le suivront. Des coups de feu encore, il pense qu’il va mourir, que la prochaine balle est pour lui, et enrage. Un homme soudain fonce sur lui, surgi de nulle part, puis un autre, ils le ceinturent, l’assomment à moitié, il se sent partir, sonné par ce coup sur la tête, et traîné par des mains qui se sont emparées de lui comme d’un chiffon. Dans ce brouillard, il s’entend appeler à l’aide, le ciel s’éteint, les coups de feu et les cris se font plus lointains, on le hisse dans un camion, son visage est plaqué contre un plancher de bois rugueux et puant, on lui attache les mains dans le dos avec une corde et il n’entend plus que

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